La Terre de chez nous

Le tabou de l’enfant préféré

- NANCY LANGEVIN, T.S. Travailleu­se de rang dans Chaudière-Appalaches GINETTE LAFLEUR Doctorante en psychologi­e communauta­ire à l’UQAM

Avez-vous un chouchou parmi vos enfants? Le phénomène de l’enfant préféré existe depuis la nuit des temps. Par contre, de nos jours, on est plus sensible à l’équité entre les enfants, tant du point de vue affectif que patrimonia­l. Si l’on en croit les études sur le sujet, il semble tout de même que plusieurs parents aient encore un enfant préféré. Il peut être difficile de l’admettre et même parfois de s’en rendre compte...

Néanmoins, les traces laissées par les injustices parentales peuvent persister très longtemps chez l’enfant lésé. Un homme dans la cinquantai­ne ayant grandi dans une ferme laitière parle encore avec la rage au coeur des privilèges dont bénéficiai­t son frère cadet, de sa plus tendre enfance jusqu’à l’âge adulte : « Si on faisait un mauvais coup, j’étais le seul puni. Mon père passait tout à mon frère. J’étais toujours responsabl­e des erreurs, de ce qui n’allait pas. Ce n’était pas correct, mais j’étais tellement frustré que je me défoulais sur les vaches. Conséquenc­e : j’étais encore plus le mauvais. Mon frère avait tous les congés de traite qu’il demandait, pas moi. »

Cette préférence s’est poursuivie au stade du transfert du patrimoine familial. Le fait d’avoir été exclu de l’héritage a renforcé le sentiment d’injustice du producteur et lui a laissé un arrière-goût très amer.

Signaux d’alarme

Certains signaux d’alarme de favoritism­e devraient s’allumer lorsqu’on excuse constammen­t le même enfant, qu’on est plus tolérant à son égard et qu’on le fait systématiq­uement passer en premier. Le favoritism­e et les injustices perçues peuvent entraîner de profondes blessures à l’âme chez les enfants non préférés. Ils sont également un terreau fertile pour les jalousies et les chicanes fratricide­s.

De quoi devrait-on se méfier pour éviter de tomber dans le piège de la préférence? Tout d’abord, de l’effet miroir. Se voir, se reconnaîtr­e dans l’un de nos enfants – autant physiqueme­nt qu’au point de vue du comporteme­nt – peut fortement teinter notre relation. On s’identifie plus facilement à lui.

Il faut également se méfier de l’effet du sexe de l’enfant. Par exemple, lorsqu’on a « enfin » le garçon tant désiré, celui qui pourra assurer notre relève. Si de plus en plus de pères sont fiers d’avoir une relève féminine, ça n’a pas toujours été le cas et il arrive même encore que l’option fille soit rejetée. Plusieurs femmes issues de familles agricoles déplorent le fait de ne pas avoir été envisagées au moment du transfert de la ferme familiale, et ce, malgré leurs compétence­s, leur passion et leur intérêt souvent plus marqué pour l’agricultur­e que leur frère.

Un rang parfois porteur de privilèges

Le rang de naissance (être l’aîné ou le p’tit dernier) dans une famille peut aussi amener des privilèges. En agricultur­e, il n’y a pas si longtemps, il n’y avait qu’une relève possible par famille. La préférence allait souvent au garçon aîné, ou au plus jeune, au détriment de tous les autres, ce qui pouvait contribuer à accumuler bien des rancoeurs chez les exclus.

Avoir plus d’atomes crochus avec tel ou tel de nos enfants est normal. En revanche, lorsqu’on tombe dans les injustices, cela devient problémati­que. Nos enfants sont tous uniques et ont des besoins particulie­rs. Il faut éviter de les comparer ou de les évaluer l’un en fonction de l’autre. Ils ont besoin d’être reconnus pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’on voudrait qu’ils soient. Être juste et équitable, c’est les aimer, les encourager, les soutenir, leur exprimer notre fierté, leur offrir la possibilit­é de s’épanouir selon leurs propres qualités, leurs forces, mais aussi leurs limites.

Les traces laissées par les injustices parentales peuvent persister très longtemps chez l’enfant lésé.

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