La Terre de chez nous

Le rêve d’une ferme au-delà de son handicap

- HÉLEN BOURGOIN, T.E.S.

Marc* avait un rêve : celui de reprendre la ferme familiale. Il avait 20 ans et voyait grand. Bien plus grand que son père. « Je n’ai jamais su le fin fond de l’histoire, mais dans mon coeur j’ai toujours pensé qu’il ne me la laissait pas à cause de mon handicap », confie-t-il.

Marc est né dans les années 1950. À six mois, il a eu la rougeole et a subi une perte pratiqueme­nt complète de l’audition. À 12 ans, on lui a procuré des audioproth­èses. Il aurait été le candidat parfait pour l’implant cochléaire, mais il a refusé.

Puis, la ferme familiale a été vendue à des étrangers. Ni lui ni ses frères n’ont pu la reprendre. « Ça jasait pas mal dans la famille. Moi, je ne comprenais pas trop. On ne m’expliquait pas tout », se souvient-il.

Question en suspens

Aujourd’hui, 50 ans plus tard, si Marc pouvait parler à son père, il le questionne­rait sur les réelles raisons de la vente. « Je pense qu’il n’avait pas confiance en moi. Comme si un sourd ne pouvait pas s’occuper d’une ferme. Je suis un bon travaillan­t, dit-il avec conviction. J’ai fait mon cours en ébénisteri­e et j’ai oeuvré à l’usine de bois. Lorsque celle-ci a fermé, j’ai dû me réorienter. Être malentenda­nt, ça ferme des portes. »

Mais comme dit le proverbe, quand une porte se ferme, une autre s’ouvre. C’est ainsi qu’il a déniché un emploi à la fermeécole de l’Institut de technologi­e agroalimen­taire. Il s’occupait des moutons, des porcs et des chevaux ainsi que de la traite des vaches. Par la suite, il a été embauché dans une ferme laitière durant cinq ans. « J’étais content de retourner dans une étable. Je travaillai­s bien et le producteur était très satisfait. J’ai pu faire découvrir l’agricultur­e à mes filles. Ce sont de belles valeurs à transmettr­e aux enfants. » Être malentenda­nt peut parfois même être pratique en agricultur­e. « On n’entend pas le bruit des machines. […] J’étais efficace », dit-il en riant.

Lorsqu’on parle avec lui, on sent bien qu’il aurait aimé avoir son exploitati­on et qu’il est déçu de la tournure des événements. Il est probable que son père ait voulu le protéger, lui épargner des expérience­s malheureus­es. Est-ce qu’encore aujourd’hui, celui-ci considérer­ait la surdité de son fils comme un handicap pour la ferme?

Finalement, la vie fait bien les choses, car Marc peut profiter de la ferme lorsqu’il va visiter sa fille. « Ma fille est en couple avec un agriculteu­r. Je pense qu’elle réalise mon rêve. En tout cas, dès que j’en ai l’occasion, je remets mes bottines et ma chienne pour aller les aider », conclut-il.

* Le prénom a été changé pour préserver l’anonymat de la personne.

« Je pense [que mon père] n’avait pas confiance en moi. Comme si un sourd ne pouvait pas s’occuper d’une ferme. »

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