La Terre de chez nous

Hommage à un agriculteu­r surtaxé

- — Mirabelle Kelly, dont la famille est voisine des Proteau depuis 1941 Charlesbou­rg

[…] En 1650, lorsque Jean Talon, le premier intendant de la Nouvelle-France, entra en poste, il expropria les jésuites d’une partie de leurs terres afin de faire de la place pour les nouveaux arrivants. Jean Talon avait dit que ces terres étaient tellement fertiles qu’on pouvait espérer y construire un pays.

Étienne Proteau, sa femme et leur fillette étaient de ces nouveaux venus, fraîchemen­t débarqués de Normandie. Ils s’établirent sur un lot situé à quelques kilomètres au nord des battures de Beauport à la frontière sud de ce qu’on appelle maintenant Charlesbou­rg, près de Québec. Imaginez la rudesse des conditions – pensez à ceux qui ont défriché votre propre terre – ils étaient de la trempe de ceux-là. […] Ainsi, plus de dix génération­s plus tard, ils sont toujours là, descendant­s d’Étienne Proteau, de père en fils, à cultiver cette même terre.

Pourtant, ils ont eu la possibilit­é de vendre leur terre à fort prix puisque les maisons se sont construite­s tout autour. Mais aucune somme d’argent n’a réussi à remplacer leur amour de la terre, le bonheur de travailler en famille et de poursuivre une tradition qui dure depuis plus de 350 ans. Et si vous voyiez leur ferme! On y sent les génération­s de dévotion à l’agricultur­e. Ce n’est pas qu’elle soit exceptionn­ellement moderne ou grandiose; c’est une exploitati­on relativeme­nt petite, mais où l’on trouve de tout et où tout est propre et soigné.

Charles Proteau, premier fils d’Omer, neuf fois arrière-petit-fils d’Étienne, est mort le 27 juillet dernier. Il aurait pu depuis longtemps vendre sa vingtaine de belles Holstein et ses deux taureaux, couper ses dix magnifique­s pommiers, vider son poulailler, écouler sa machinerie et s’acheter un condo en Floride. Mais il a aimé sa terre et fait son train jusqu’à la veille de sa mort, jusqu’aux dernières forces que le Créateur lui a données. Charles n’avait pas d’enfants, alors la relève est incertaine.

La Ville de Québec a changé le zonage du vert au blanc, augmentant les taxes sur la terre des Proteau de 1 000 % il y a quelques années. Bien qu’il y ait eu un arrangemen­t pour faciliter la transition, le développem­ent résidentie­l, très lucratif en taxes, a primé.

Les citoyens y gagnent collective­ment financière­ment à court terme, mais perdent – ou risquent de perdre, à moins qu’ils ne tiennent à leur conservati­on – des acres précieux de terres agricoles drainées et fertiles qui ont nourri des génération­s avant nous. Ils perdent le paysage ainsi que l’odeur du foin coupé et de l’ozone dans les champs après la pluie.

Ils perdent surtout l’exemple d’une famille qui, depuis 350 ans, habite le territoire de manière durable, qui a un savoir-faire ancestral, des valeurs, des traditions, une force, une famille de qui nous pouvons tous nous inspirer. […]

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