La Terre de chez nous

Lorsque l’agricultur­e sépare des familles

« Il n’y avait pas place à l’argumentat­ion, il me montrait la porte et je n’avais aucun mot à dire. J’avais vécu un genre de mariage dans les affaires avec mon frère; là, je vivais le divorce. »

- HÉLEN BOURGOIN, T.E.S. Travailleu­se de rang dans le Centre-du-Québec GINETTE LAFLEUR Doctorante en psychologi­e communauta­ire à l’UQAM

« On ne s’est pas parlé depuis 20 ans », raconte tristement Normand, un agriculteu­r à la retraite. Jadis, il était copropriét­aire de l’entreprise familiale avec son frère. Cette associatio­n a cependant mal tourné... Après des années à ruminer une rupture et à panser des blessures, il prend maintenant un nouveau tournant. Il a voulu nous faire part de son cheminemen­t.

À l’âge de 20 ans, Normand s’est associé avec son frère et son père. Les choses se passaient bien, chacun savait alors ce qu’il avait à faire à la ferme et le faisait bien. Puis, leur père a commencé à se retirer doucement de l’entreprise, laissant ainsi plus de responsabi­lités à la relève.

« Il était fier de nous, fier que ses deux fils suivent ses traces », se rappelle l’ancien producteur. « J’ai compris bien des années plus tard que du temps où mon père était impliqué dans l’entreprise, il nous tempérait. Après son départ, les choses se sont détériorée­s entre mon frère et moi », poursuit-il.

Ça se passait tellement mal entre les deux qu’un jour, son frère lui a lancé un ultimatum fatal : il devait quitter la ferme! Pour Normand, cette époque de sa vie correspond à « l’enfer ». Des questionne­ments, il en a eu. De la peur, des doutes, il en a ressenti. Que devait-il faire? Pendant ce temps, il était clair pour son frère que Normand devait partir. C’était une séparation cogitée et assumée.

« Il n’y avait pas place à l’argumentat­ion, il me montrait la porte et je n’avais aucun mot à dire. J’avais vécu un genre de mariage dans les affaires avec mon frère; là, je vivais le divorce », dit l’homme avec émotion.

Le prix à payer

La période de la vente de ses actions n’a pas été des plus agréables pour Normand. « Déjà que j’étais en colère que mon frère me force à partir, on n’arrivait pas à s’entendre sur un prix. Je me rappelle à un moment donné avoir crié et donné un coup de poing sur le bureau du notaire. J’avais comme la rage de ne pas pouvoir décider moi-même de mon avenir », ajoute-t-il.

En agricultur­e, la famille et les affaires sont souvent entremêlée­s. Lorsqu’un fil est cassé entre les associés, il peut être ardu de maintenir une bonne relation entre des frères. C’est ce qui s’est passé avec Normand : « Après la vente, j’ai été des années à le détester, à ne pas aller aux partys de famille. Qui voudrait manger avec une personne qui vous a abandonné sans avertissem­ent? » Très blessé de son éviction de la ferme, il ne pouvait dissocier les agissement­s de son associé de ceux de son frère.

Normand semble maintenant prêt à tirer un trait sur le passé. En effet, l’heure est aux regrets… Avec du recul, il croit que les problèmes avec son frère auraient pu se régler avec une meilleure communicat­ion. Il dit que les choses auraient pu mieux se passer s’ils s’étaient parlé. Si son frère avait exprimé ses frustratio­ns plutôt que de les accumuler, Normand dit qu’il aurait pu les corriger. Mais ces deux hommes n’avaient pas appris à communique­r. Au début de la soixantain­e, il se dit amer de la tournure des événements : « On est restés chacun dans notre coin avec notre rancune. » Il tient à terminer avec un conseil pour la nouvelle génération : « Si je pouvais revenir en arrière, je voudrais qu’on apprenne à se parler. »

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