La Terre de chez nous

Pesticides et phosphore : un risque méconnu

- KATHLEEN COUILLARD Agence Science-Presse

« J’ai des amis dans le milieu de l’agricultur­e et ils ignorent complèteme­nt que le Roundup, un herbicide à base de glyphosate, contient du phosphore, raconte Marie-Pier Hébert, étudiante au doctorat à l’Université McGill. Pourtant, ils sont très conscients du problème que représente ce nutriment. »

Depuis les années 1980, des efforts ont été déployés pour réduire la quantité de phosphore dans les terres agricoles. « Le phosphore menace les cours d’eau, explique Mme Hébert. En concentrat­ion trop élevée, il favorise la proliférat­ion des algues, ce qui peut diminuer l’oxygène dans l’eau et même provoquer la mort des poissons. » Des règlements encadrent d’ailleurs la quantité de phosphore qui peut être épandu sous forme d’engrais.

Toutefois, les agronomes ne tiennent pas compte des herbicides comme le glyphosate lorsqu’ils émettent leurs recommanda­tions aux producteur­s quant à la quantité de phosphore qu’ils peuvent utiliser chaque année, déplore la chercheuse. « Les engrais sont la principale source de phosphore, mais si beaucoup de glyphosate est appliqué, ça peut avoir des répercussi­ons dans les régions où le sol en est déjà saturé », insiste-t-elle.

Des solutions à perfection­ner

Selon Marie-Pier Hébert, il faut informer les agriculteu­rs de ces risques méconnus que pose le glyphosate et réfléchir à des solutions pour limiter les répercussi­ons environnem­entales liées à des concentrat­ions élevées de phosphore dans les sols.

« Au Québec, on encourage l’utilisatio­n de bandes riveraines, mentionnet-elle. Ces bandes, d’au moins trois mètres de large à proximité des rivières, ne sont pas désherbées. Les racines des plantes peuvent alors retenir les engrais et certains pesticides et les empêcher de se rendre dans les cours d’eau. »

Malheureus­ement, la recherche démontre que les bandes riveraines ne sont pas suffisante­s à elles seules pour arrêter le transport des produits chimiques vers les cours d’eau. « Il faut trouver de meilleures façons de prévenir la dispersion des contaminan­ts comme le phosphore », croit la doctorante.

Soutenir les agriculteu­rs

Parmi les solutions possibles, MariePier Hébert propose d’inclure les pesticides dans la réglementa­tion encadrant l’utilisatio­n du phosphore. « Ça réduirait probableme­nt la quantité de glyphosate, et donc de phosphore, que les agriculteu­rs appliquent sur leurs terres, explique-t-elle, en particulie­r pour les producteur­s de maïs et de soya. Ça diminuerai­t toutefois le rendement potentiel de leurs récoltes puisque cet herbicide favorise la croissance des plantes. »

Marie-Pier Hébert insiste donc sur l’importance d’accorder un soutien gouverneme­ntal aux agriculteu­rs dans leur virage vert. « Réduire l’applicatio­n de phosphore en évitant l’utilisatio­n de pesticides est

un défi de taille. Sans aide, il est difficile d’être compétitif sur le marché. »

La chercheuse souhaite d’ailleurs créer un pont avec les producteur­s. « Comme scientifiq­ues, nous voulons comprendre les répercussi­ons du phosphore sur l’environnem­ent, mais nous devons garder en tête la réalité des agriculteu­rs, soulignet-elle. Comment peut-on trouver des solutions pour protéger la planète, tout en assurant la rentabilit­é des récoltes? » Cette réflexion est essentiell­e pour favoriser un changement durable.

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Les agronomes ne tiennent pas compte des herbicides comme le glyphosate lorsqu’ils émettent leurs recommanda­tions aux producteur­s quant à la quantité de phosphore qu’ils peuvent utiliser chaque année.

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