Des travailleurs étrangers inquiets de leur sort
La COVID-19 pourrait compromettre la venue de travailleurs temporaires etrangers. Les producteurs s'en inquietent. Des Mexicains et des Guatemalteques aussi. Notre reporter a recueilli leurs temoignages.
Le copropriétaire de la ferme maraîchère Jardins Vegibec, Pascal Lecault, anticipe avec bien peu d’optimisme la saison à venir. Celui qui accueille normalement 225 travailleurs étrangers temporaires (TET) chaque été n’aura d’autre choix que de réduire d’au moins 50 % la superficie de ses cultures.
« Normalement, je cultive 1400 acres et je suis déjà certain de réduire à 700 acres. Je pourrais même prendre la décision de diminuer la superficie encore plus d’ici la mi-avril, dépendamment de ce qu’il arrivera avec les TET», a témoigné le producteur d’Oka, dans les Laurentides, la semaine dernière.
Il devait a priori accueillir 63 travailleurs d’ici le 15 avril. Or, des pépins de dernière minute au Guatemala font en sorte qu’il devrait plutôt en recevoir 49. « Et rien n’est garanti. C’est une catastrophe. C’est certain que ça aura un impact sur le consommateur en fin de compte », laisse tomber celui qui produit normalement 1,4 million de caisses de courgettes, de choux-fleurs, de céleris et de laitue par année. « J’aurai de la difficulté à me rendre à 700 000 caisses cette saison. Je vais donner mon nom pour le recrutement local, mais je n’y crois pas vraiment. »
Les producteurs sondés sur leurs intentions
L’Association des producteurs maraîchers du Québec (APMQ) a récemment sondé 42 de ses membres afin de connaître leurs intentions, advenant qu’ils ne reçoivent pas toute la maind’oeuvre étrangère dont ils ont besoin cette saison.
Les résultats démontrent que les producteurs de légumes racines, dont les pratiques sont plus automatisées, n’envisagent pas de réduire leur superficie de culture pour l’instant. Par contre, ceux dont les légumes nécessitent plus de travailleurs – brocolis, céleris, choux, choux-fleurs, courges, courgettes, poivrons et tomates – préparent en moyenne 20% moins de plants en serre qu’à l’ordinaire.
« La décision de semer moins en serre est la première étape. Dans deux ou trois semaines, ils devront déterminer s’ils transplantent au champ tout ce qu’ils auront préparé ou non», explique le directeur général de l’APMQ, Jocelyn St-Denis. Il spécifie que certains agriculteurs pourraient décider de laisser des plants dans les serres, quitte à les perdre, plutôt que de les transférer au champ et de devoir les entretenir, sans possibilité de récolter suffisamment pour que ce soit rentable. «Ce sera la prochaine grosse décision à prendre. En attendant, ils gagnent du temps et gardent espoir de recevoir de la maind’oeuvre d’ici quelques semaines. »
Le producteur Patrice Riendeau, de Saint-Rémi en Montérégie, fait partie de ceux qui préparent moins de plants de légumes en serre cette année. « J’ai réduit de 20 % les semis de laitue et de céleris et je ne pense pas pouvoir les transplanter tous », se désole celui qui espère recevoir 74 TET sur 120 « dans le scénario le plus optimiste ». « Je serais très étonné de pouvoir en accueillir autant. »
Abandon des fruits et légumes
Simon Leblanc, qui cultive normalement 110 acres de fraises, de choux et de courges à Saint-Jacques, dans Lanaudière, envisage l’option de laisser tomber complètement la production de fruits et de légumes cette année pour se concentrer sur le soya et le blé. « C’est trop incertain. Et même si on reçoit nos TET, ce sera beaucoup de troubles, avec l’isolement et tout. Je n’ai pas pris de décision finale. J’attends de voir si le gouvernement compte nous dédommager, advenant qu’on plante trop par rapport à ce qu’on peut récolter. »