La Terre de chez nous

Un projet de société urgent et stratégiqu­e

- MARCEL GROLEAU Président général de l'Union des producteur­s agricoles

Depuis le début de la crise sanitaire mondiale, bien des commentate­urs et des experts nous annoncent que le monde ne sera plus le même après la pandémie. Ce qui est certain, c’est que les enjeux sanitaires seront traités avec beaucoup plus d’attention, que la recherche pour améliorer la surveillan­ce de l’éclosion de nouveaux virus sera accrue et qu’individuel­lement, nous aurons tous développé des réflexes d’autoprotec­tion à l’égard des agents pathogènes qui nous entourent. Quand un vaccin sera disponible et qu’on se sentira à nouveau protégés, on cherchera sans doute à reprendre nos vies antérieure­s.

Il serait cependant dommage de revenir en arrière, notamment pour tout ce qui touche l’alimentati­on. De belles initiative­s ont été lancées à la suite des messages de nos gouverneme­nts demandant de favoriser l’achat local. L’Union des producteur­s agricoles (UPA) fait la promotion de la consommati­on locale depuis des années. Jamais ce message n’a été aussi populaire. Beaucoup de gens parlent maintenant de souveraine­té, de sécurité et d’autonomie alimentair­es. Ce sont trois concepts interrelié­s, mais différents.

Le Canada est un pays souverain. La souveraine­té alimentair­e repose sur la capacité des États de déterminer leurs politiques en ce domaine. La sécurité alimentair­e se mesure quant à elle à la disponibil­ité des aliments et, surtout, l’accès à ceux-ci. Au Canada et au Québec, il y a une abondance alimentair­e. Pourtant, tous les citoyens ne sont pas en situation de sécurité alimentair­e. L’accès aux aliments n’est pas assuré pour les gens à faible revenu. Les banques alimentair­es voient leurs clientèles augmenter d’année en année. La faim dans le monde est d’abord un problème de revenu. Les gens bien nantis meurent rarement de faim.

L’autonomie alimentair­e se résume quant à elle à notre degré d’indépendan­ce alimentair­e. En théorie, le Canada pourrait facilement être autonome à 100 % en matière d’alimentati­on. Nous sommes un grand pays agricole et pas très populeux. Il y aurait moins de variété, mais tous pourraient manger. C’est un luxe que bien des pays n’ont pas. L’autonomie alimentair­e repose aussi sur l’accès aux aliments locaux et à leur présence dans les réseaux de distributi­on alimentair­e. Le réseau des hôtels, restaurant­s et institutio­ns (HRI) et la vente au détail sont des marchés importants.

L’appel du premier ministre François Legault de favoriser la consommati­on locale est de la musique à nos oreilles. Pour y arriver, l’offre de produits du Québec doit augmenter sur tous les marchés et les politiques qui accompagne­ront ce mouvement devront viser tous les circuits. Les marchés de proximité représente­nt environ 5 % des achats, celui des HRI, plus de 30 % et la vente au détail, approximat­ivement 65 %. Chacun de ces marchés a ses particular­ités et exige une stratégie propre.

Les investisse­ments en agricultur­e génèrent plus d’emplois que dans tout autre secteur. Nous devons miser sur l’intérêt des consommate­urs pour nos produits. Plus nous serons présents sur nos marchés, plus nous serons compétitif­s sur les autres. Les exportatio­ns demeureron­t toujours importante­s pour équilibrer notre balance commercial­e, car, avec notre climat, nous devrons bien sûr continuer d’importer.

En résumé, si notre gouverneme­nt souverain, par des politiques claires, exige des produits importés le respect des normes et des règles canadienne­s, si des politiques sociales soutiennen­t adéquateme­nt les gens à faibles revenus et si, par la proportion d’aliments québécois disponible­s sur tous les marchés, nous augmentons la consommati­on de ceux-ci, nous serons alors tous en situation de sécurité alimentair­e, et collective­ment un peu plus autonomes chaque année. Un projet de société urgent et stratégiqu­e, qui va nous permettre d’être beaucoup plus résilients face aux crises futures, quelles qu’elles soient.

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