La Terre de chez nous

L’encan virtuel vécu par une famille en deuil

- HÉLEN BOURGOIN, T.E.S. Travailleu­se de rang dans le Centre-du-Québec

« C’est un peu comme assister à des funéraille­s, mais virtuellem­ent… »

Faire le choix de vendre sa ferme est une décision très souvent émotive. Pour plusieurs raisons, Martin et sa famille ont dû se départir de leurs vaches, à la suite du décès d’un des leurs, qui était l’un des piliers de l’entreprise familiale. C’était avant le confinemen­t, à cette « époque » où l’encan se faisait à l’extérieur, devant tous, durant un rassemblem­ent. Puis, la pandémie a frappé, donnant naissance aux encans virtuels.

« Au début, on pensait que l’encan se ferait deux semaines après [l’annonce du confinemen­t, le 12 mars]. Jamais on ne pensait que ça empêcherai­t de vendre nos animaux normalemen­t », raconte le producteur laitier. Avec l’encanteur, ils ont suivi le développem­ent de la crise dans l’attente d’une date pour vendre leurs animaux. « Une date a été fixée, puis repoussée. Jusqu’à ce qu’on décide d’y aller avec un encan virtuel. Pas l’idéal, mais pas trop le choix », raconte le jeune homme. Bien sûr, ces nombreux revirement­s ne furent pas sans conséquenc­e. « On était plus nerveux, car on ne savait pas trop à quoi s’attendre », précise Martin. Durant tout ce temps, les hommes de la famille ont continué de « tirer les vaches ». Cela a eu pour effet de reporter le moment de commencer leur deuil.

Embûches techniques

Lorsqu’est venu le temps d’« enfin » préparer la vente, d’autres embûches sont arrivées, cette fois-ci plus techniques. « L’encanteur est venu avec son équipe installer les caméras pour filmer les animaux. C’est là qu’on a réalisé que notre [service] Internet n’était pas assez puissant pour l’événement. Faut dire que la connexion Internet en campagne, c’est pas fort, fort. Conséquenc­e de cela, attendre un autre 2-3 semaines avant l’encan. Durant ce temps, on prépare les vaches et on filme nos 10 plus belles pour les réseaux sociaux », rapporte Martin. Le jour J fut une grosse journée : « C’était en direct grâce aux caméras et les gens pouvaient miser sur les plateforme­s. Il y avait un trépied sur le chariot à moulée. C’était spécial de voir ça », se rappelle-t-il.

Avec le recul, le producteur laitier voit certains avantages à ce type d’encan : « Il y a probableme­nt moins d’ouvrage, car on n’a pas eu à déplacer les animaux. J’ai aussi l’impression que c’était moins émotif, car personne n’est venu nous parler ou nous prendre dans ses bras comme on voit habituelle­ment. » En effet, cette coupure avec l’humain et l’émotion peut s’avérer lourde pour la personne qui a besoin de cela pour faire son deuil. « C’est un peu comme assister à des funéraille­s, mais virtuellem­ent », précise ce dernier.

Bons moments en mémoire

Une fois tout cela dernière lui, une fois l’étable vide, « c’est vrai que ça fait bizarre, comme un pincement au coeur », ajoute-t-il. Pour lui, les étapes l’ont épuisé et il avoue « que c’était le temps que les vaches partent ». L’incertitud­e quant à la date ainsi que l’insécurité liée à la COVID-19 et au confinemen­t ont bien sûr rajouté au stress de toute la famille, en plus de leur deuil initial et de leur tristesse.

La vie de Martin ne sera plus jamais la même. Il garde en tête les bons moments que lui a procurés la ferme et passera du temps pour penser à lui et à son avenir. Sa famille et lui auront à vivre leur double deuil à leur rythme. Pour l’instant, ils se soutiennen­t les uns les autres et s’efforcent de garder les bons moments de l’agricultur­e en mémoire. Ils auront à réapprivoi­ser la vie sans leur pilier. Le temps apaisera leur douleur.

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