La Terre de chez nous

Une armée de tracteurs au front

- MAURICE GAGNON Correspond­ant régional redaction@ laterre.ca

Dans un geste de solidarité sans précédent, des dizaines d’agriculteu­rs du Kamouraska ont combattu un feu de tourbière au moyen de tracteurs et de réservoirs d’eau. Il faut dire que les producteur­s ne sont jamais à l’abri d’incendies déclenchés par leur machinerie lors des grandes sécheresse­s.

La première coupe de foin de l’année s’est déroulée en période de sécheresse, ce qui a attisé la crainte des agriculteu­rs de déclencher un incendie en plein champ. Ceux du Kamouraska n’ont d’ailleurs pas hésité à s’unir pour combattre un feu de tourbière qui menaçait terres et bâtiments agricoles. Récit des événements.

RIVIÈRE-OUELLE — Le 19 juin, au début de l’après-midi, Mike Bérubé aperçoit une épaisse fumée blanche s’élever des Tourbières Lambert, à un kilomètre de sa ferme laitière de Rivière-Ouelle au Bas-Saint-Laurent. Il appelle l’un des responsabl­es de l’entreprise et propose de se rendre prêter main-forte aux pompiers avec sa citerne d’épandage à fumier.

Dès lors, les réseaux sociaux et les échanges par messagerie texte multiplien­t l’informatio­n. D’autres agriculteu­rs des environs accourent sur les lieux. Ils seront bientôt une quarantain­e à pomper l’eau de la rivière Ouelle dans leur réservoir à purin pour arroser le sol fumant. « Le problème avec une tourbière, c’est qu’il n’y a pas de flammes. Le feu court en profondeur. C’est comme de la braise dans le fond d’un poêle à bois », illustre M. Bérubé.

Une opaque fumée blanche

Le travail n’est pas sans risques. Les agriculteu­rs doivent avancer dans l’opaque fumée blanche qui entoure la cabine de leurs tracteurs. « Parfois, le seul moyen de voir si on n’était pas trop proche du fossé, ajoute le producteur, c’était de descendre de la cabine. » Sans compter qu’il faut conduire avec une extrême prudence pour ne pas que le véhicule s’embourbe ou qu’il prenne feu à son tour. C’est un tracteur appartenan­t aux Tourbières Lambert qui a accidentel­lement causé l’incendie, selon le chef pompier, Christian Gagnon. «Comme le sol était très sec, le feu a pris des proportion­s inégalées », dit-il.

Des terres dévastées

Cinq jours plus tard, la pluie tombe enfin sur le Kamouraska comme de l’eau bénite. Au volant de son pick-up, Sylvie Lévesque, de la ferme Sauvagine de Saint-Denis-De La Bouteiller­ie, nous conduit sur ses champs dévastés par le feu. Une partie de la tourbière longe sa terre sur le territoire de sa municipali­té.

« Je ne me sens pas assez sûre pour aller plus loin avec le camion », dit-elle en coupant le contact.

Nous continuons à pied sur un sol boueux et glissant en direction de son mari, Hervé Garon, en train de remplir d’eau une piscine d’arrosage avec son réservoir d’épandeur. Quelques pousses vertes luttant pour la vie émergent de ce sol noir où se trouvait le maïs.

La tourbière brule encore à quelques mètres de nous. Des pompiers en bras de chemise arrosent le sol. Une brume blanchâtre accompagne l’odeur de débris calcinés. On se croirait en zone de guerre.

« Environ 35 acres de foin et une quinzaine d’acres de maïs ont été détruits vendredi et samedi au plus fort de l’incendie », raconte Hervé, les traits tirés de fatigue. De plus, 125 acres boisés sont une perte totale.

Hervé a été chanceux. Malgré les dommages aux cultures, son troupeau n’a pas été incommodé par la fumée. Ce n’est pas le cas de Mike Bérubé, dont les vaches ont subi le stress des émanations, ce qui les a rendues moins productive­s. Il a aussi sacrifié une partie de ses terres pour permettre aux épandeurs de s’approvisio­nner à la rivière.

Geste de solidarité

« Une telle implicatio­n spontanée du milieu agricole est exceptionn­elle », croit le maire de Rivière-Ouelle, Louis

Georges Simard. Les producteur­s ont participé aux opérations presque jour et nuit, négligeant leurs propres entreprise­s. « L’aide de la famille a permis d’exécuter les tâches sur notre ferme », dit Pascal Thériault, de Mont-Carmel.

Rémi et Simon Martin n’ont pas hésité à prendre part à la corvée, se relayant au transport de l’eau. « Le feu, on sait ce que c’est parce qu’on est passé par là », ajoute Rémi Martin en référence à l’incendie qui a touché leur ferme de Rivière-Ouelle il y a dix ans.

Au moment de mettre le journal sous presse le 26 juin, l’incendie était contrôlé, mais n’était pas éteint. Les pompiers provenant du Kamouraska et d’une partie de Chaudière-Appalaches poursuivai­ent leur travail, aidés de la SOPFEU et des agriculteu­rs. Le pompier Christian Gagnon estimait la superficie affectée à 326 hectares.

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 ??  ?? Au plus fort du feu de tourbière, une quarantain­e d’agriculteu­rs pompaient l’eau de la rivière.
Au plus fort du feu de tourbière, une quarantain­e d’agriculteu­rs pompaient l’eau de la rivière.
 ??  ?? Le feu a détruit plusieurs acres de maïs à la ferme Sauvagine de Saint-Denis, comme nous le montre Sylvie Lévesque.
Le feu a détruit plusieurs acres de maïs à la ferme Sauvagine de Saint-Denis, comme nous le montre Sylvie Lévesque.
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