Nos laides mal-aimées
Nul besoin de se promener longtemps pour constater la laideur de nos cours d’école. Asphaltées comme des stationnements, entourées de clôtures de mailles auxquelles il ne manque que les barbelés pour rappeler une prison. À l’intérieur ? Généralement, une rangée de classes comme des cubes entourés d’aires de circulation. Un lieu de « stockage d’élèves », comme le dit un commissaire de la CSDM, d’un « esthétisme carcéral » qui n’a pas quitté le XXe siècle.
Le chroniqueur en urbanisme Marc-André Carignan plaide pour une « révolution » architecturale dans Les écoles qu’il nous faut, où il pourfend l’approche strictement comptable qui guide l’aménagement de nos établissements.
Le portrait est déprimant. Des écoles surpeuplées où des cours se donnent dans des roulottes préfabriquées, des bibliothèques sacrifiées, des cafétérias disparues qui obligent les élèves à manger à leur pupitre, des réseaux électriques saturés qui font sauter les fours à micro-ondes.
Avec un déficit d’entretien de 1,8 milliard, les écoles restent les infrastructures publiques affichant le pire état. Mais les réaménagements et les constructions qui se font sont encore soumis à la dictature du moins cher. Entre autres parce que les cabinets d’architecture sont contraints de suivre la recette du ministère de l’Éducation. Toute dérogation aux normes est perçue comme un « luxe » et généralement abandonnée.
Malgré un budget de 10 milliards de dollars, « le ministère de l’Éducation dissémine de petites fortunes sans vision d’ensemble et sans direction architecturale pour moderniser l’approche pédagogique ». Le comment est plus problématique que le combien. Les principes d’ergonomie ne valent pourtant pas que pour les tours de bureaux. « Le milieu bâti influence largement les comportements humains, de la productivité à la créativité des individus en passant par leur santé mentale et physique », souligne l’auteur, qui prend exemple sur les hôpitaux, où les séjours sont moins longs dans un environnement calme et réfléchi.
Il faut penser l’école comme un milieu de vie qui renforce le sentiment d’appartenance. Concevoir des lieux qui favorisent l’apprentissage. Faire entrer la lumière naturelle, repenser la salle de classe pour installer du mobilier amovible, des îlots et des espaces diversifiés. Bref, une géométrie variable qui permet de s’adapter à la pédagogie. Et dans la cour, des couleurs, de la verdure, du mobilier de bois.
« L’école doit devenir un incubateur de créativité. » Marc-André Carignan propose aussi des solutions. De bons coups ici, où certains aménagements réussis ont pu éclore, mais aussi ailleurs, comme les atriums épurés de la Finlande ou les cours de cuisine du Japon.
Surtout, il veut réintégrer l’école dans sa collectivité, en ouvrant ses lieux aux résidants. En abattant les clôtures, au propre comme au figuré. Pour libérer (enfin) nos écoles. (Jean-Philippe Cipriani)
« Avant même d’ouvrir un livre, l’élève doit avoir le goût de mettre » le pied dans l’école. Si elle lui semble rébarbative, sur le point de tomber littéralement en morceaux et non adaptée à la pédagogie contemporaine, peut-on en vouloir à l’enfant de ne pas trouver la motivation nécessaire pour se surpasser ?