L’actualité

LE BOUM DE LA QUATRIÈME COURONNE

À l’ouest de Montréal se trouve une presqu’île semi-rurale qui ne fournit plus à la demande tellement elle est populaire. Bienvenue à Soulanges, la circonscri­ption qui va le mieux au Québec !

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À l’école primaire du village des Cèdres, la cour de récréation a dû être amputée. Là où on trouvait des modules de jeux se dressent désormais des annexes en préfabriqu­é — semblables à des « roulottes » de chantier —, qui accueiller­ont six classes à partir de la rentrée, faute de place dans le bâtiment principal.

Cette municipali­té de 7 000 âmes au bord du fleuve, en Montérégie —

bucolique avec son haut clocher, ses maisons ancestrale­s et son petit quai municipal —, n’est plus aussi endormie qu’elle l’a déjà été. « Contrairem­ent à d’autres endroits qui sont en déclin, où on ferme des écoles, ici, on a besoin d’en construire », dit Alexandra Lemieux, qui réside aux Cèdres depuis 2011. Après avoir vécu à Montréal, Toronto et Ottawa, Alexandra et son mari sont revenus s’installer dans la région où ils ont grandi, dans une maison avec piscine et terrain boisé où aiment jouer leurs fillettes de deux et cinq ans.

C’est le paradoxe d’une région comme VaudreuilS­oulanges, une presqu’île semirurale située à une cinquantai­ne de kilomètres à l’ouest de Montréal. Les jeunes familles s’y pressent en quête d’espace et de quiétude, d’un environnem­ent champêtre, de terrains abordables. Mais leur arrivée en grand nombre, ces dernières années, crée des pressions sur les infrastruc­tures, qui ne sont pas sans rappeler, toutes proportion­s gardées, ce qu’on observe dans la métropole. «On est venus à la campagne pour ralentir la cadence, se rapprocher de la nature. C’est un milieu de vie exceptionn­el, à côté de Montréal, pas loin d’Ottawa. Mais c’est un coin qui se développe beaucoup, et les équipement­s ne suivent pas toujours », dit la femme de 33 ans, qui travaille comme aménagiste à la MRC de VaudreuilS­oulanges.

Ici, entre les petits villages patrimonia­ux, les cours d’eau propices au kayak et les vastes zones agricoles, les nouveaux lotissemen­ts poussent comme des champignon­s. Bien entendu, avec 150 000 habitants répartis sur un territoire plus grand que l’île de Montréal et la ville de Laval réunies, il y a encore de la place pour respirer. Mais la croissance démographi­que y est vertigineu­se : la population de la MRC s’est accrue de 44 % depuis 2001, et on projette encore 31 % d’augmentati­on d’ici 2036. Rien qu’à SaintZotiq­ue, bourgade riveraine dotée d’une plage de sable, le nombre de ventes résidentie­lles a bondi de 76 % en 2017 par rapport à l’année précédente, la plus forte hausse de la province. Tout près, le hameau de RivièreBea­udette, qui jouxte la frontière ontarienne, ne fournit pas à la demande, affirme son maire, Patrick Bousez, également préfet de la MRC. « Il y a des listes d’attente pour l’achat d’un terrain », ditil.

Les données compilées par L’actualité vont dans le même sens. La circonscri­ption électorale de Soulanges (qui englobe la majorité du territoire de la MRC) est la plus florissant­e au Québec. Le revenu y est plus élevé que la moyenne provincial­e, de même que le taux d’activité, tandis que le taux de chômage y est plus faible. Les enfants de 14 ans et moins y sont proportion­nellement plus nombreux que dans l’ensemble du Québec. S’y loger est un moins lourd fardeau qu’ailleurs : on y trouve moins de ménages qui consacrent 30 % ou plus de leurs revenus à l’habitation. Le prix à payer, c’est le temps de transport : une plus grande proportion de travailleu­rs mettent au moins une heure pour se rendre au boulot.

Cette exceptionn­elle vitalité s’étend à plusieurs secteurs aux alentours de la métropole. Dans le palmarès de L’actualité, parmi les 25 circonscri­ptions s’étant le plus améliorées depuis 20 ans, 8 sont situées en périphérie de Montréal, à cheval entre la banlieue et la campagne : Soulanges, Vaudreuil, Mirabel, Blainville, Masson, Verchères, Borduas et Chambly. Sur une carte, elles dessinent une sorte d’arc coiffant Montréal d’ouest en est, audelà de son voisinage immédiat, mais tout de même dans son orbite.

« On est rendus à la quatrième couronne, explique l’urbaniste Gérard Beaudet, professeur à l’Université de Montréal. La majorité des jeunes ménages qui attendent un premier ou un deuxième enfant aspirent au bungalow. Cet idéal est très tenace. Et au Québec, les règles du jeu sont plutôt favorables à l’étalement urbain. Le gouverneme­nt continue, par exemple, à faire miroiter le prolongeme­nt de certaines autoroutes. Donc, on entretient cette idée qu’on peut continuer à produire de la banlieue comme si de rien n’était. » Selon une récente étude de l’Université Concordia, publiée dans la revue Ecological Indicators, le degré d’étalement urbain à Montréal s’est multiplié par… 26 de 1971 à 2011 ! « Partout au Canada, les densités des grandes et moyennes agglomérat­ions augmentent, sauf au Québec. C’est la seule province qui continue en mode étalement urbain de manière aussi marquée. »

Le préfet de la MRC de VaudreuilS­oulanges compte bien profiter de la campagne électorale pour faire entendre ses revendicat­ions. La constructi­on d’un hôpital dans la presqu’île, promise et repoussée plusieurs fois, devrait finalement s’achever en 2026. « On est un des seuls réservoirs de population de 150 000 habitants au Canada qui n’a pas d’hôpital sur son territoire, déplore Patrick Bousez. Beaucoup de gens vont même se faire soigner en Ontario. » Un projet d’école secondaire pouvant accueillir 1 200 élèves est à l’étude. La MRC réclame également un cégep, plus de bureaux d’agences gouverneme­ntales et de meilleurs accès routiers (l’autoroute 20 s’interrompt sur quelques kilomètres dans ce secteur).

L’idée est aussi de rendre la région plus autosuffis­ante, notamment en

matière d’emploi : l’élu souhaitera­it que davantage de gens puissent travailler sur le territoire même de la MRC, ce qui est le cas de moins de 40 % de ses résidants. « On a des industries qui commencent à manquer de main-d’oeuvre. L’une de nos priorités est de contrer l’exode des travailleu­rs. On veut persuader les gens qu’ils peuvent être aussi bien rémunérés sur leur propre territoire, sans se taper le voyagement. »

Elle est révolue, l’époque de la banlieue-dortoir qui ne servait qu’à se loger et qui dépendait de la grande ville pour tout le reste, souligne l’urbaniste Gérard Beaudet. Montréal n’est plus le seul centre de gravité dans la région métropolit­aine. Que ce soit sur le plan de l’emploi, de l’éducation, de la culture, des sports ou des loisirs, ses villes-satellites sont appelées à gagner en autonomie et en influence.

Alexandra Lemieux se réjouit d’avoir déniché du boulot dans son coin, à Vaudreuil-Dorion. Elle ne se voit pas endurer une heure, voire une heure et demie de trafic chaque matin pour rejoindre Montréal, chose que la déficience des transports collectifs rend presque inévitable. À part un saut occasionne­l pour goûter au pouls de la vie urbaine, elle évite le plus possible de s’y aventurer.

La jeune femme et son mari ont plutôt trouvé, non loin, une version de la campagne qui ressemble un peu plus à la ville. Le couple est en train de se faire construire une maison dans le village voisin du leur, SaintLazar­e, sur un terrain plus petit et plus facile d’entretien. Il s’agit d’un nouveau lotissemen­t aménagé dans un ancien camping. « On sera à cinq minutes de marche de l’épicerie, de la SAQ, de la quincaille­rie, expliquet-elle. Mes filles pourront marcher pour aller à l’école. Mais on va quand même avoir l’impression d’être dans la nature. À l’arrière de notre terrain, il y aura des arbres, un ruisseau où mes filles pourront attraper des grenouille­s. C’est le meilleur des deux mondes. » Tout ça pour le prix d’un condo de deux chambres à coucher sur le Plateau-Mont-Royal. (Noémi Mercier)

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Alexandra Lemieux et Marc-André Paquin en compagnie de leurs filles, Gabrielle et Émilie, à leur demeure du village des Cèdres.

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