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À PLEIN RÉGIME

C’est Régis Labeaume qui le dit : la capitale est toujours aussi choyée.

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Avant de faire fortune dans les cornets trempés, le propriétai­re de Chocolats Favoris, Dominique Brown, a fondé le studio de jeux vidéos Beenox. « Patriote » autoprocla­mé de sa ville, il a investi à Québec et a convaincu des collèges d’y élaborer des programmes de jeux vidéos, là où bon nombre lui prédisaien­t l’échec.

Mais sa capitale bien-aimée est maintenant victime de son succès. « En ce moment, le plein-emploi est un frein économique extraordin­aire, dit-il. L’immense majorité des entreprise­s sont en croissance. Les patrons ont tous des problèmes de main-d’oeuvre, comme moi. Et quand je trouve un employé, c’est celui d’un PDG que je connais bien. Certains me disent carrément que des projets d’expansion sont mis en veilleuse à cause du manque de main-d’oeuvre. »

Peter Simons, à la tête des magasins Simons, confirme. Il construit quand même un centre de distributi­on de 125 millions de dollars à la pointe de la technologi­e numérique — le plus important investisse­ment de l’entreprise familiale en près de 180 ans d’existence —, qui aura besoin de 200 à 300 employés.

« Si on regarde ça du point de vue comptable, j’aurais dû installer mon entrepôt dans une autre ville, où les terrains sont moins chers, dit-il. Sauf que mes plus gros actifs ne sont pas dans mon bilan. Ce sont les compétence­s des gens, la réputation de l’entreprise, le sentiment d’appartenan­ce. L’investisse­ment émotif, ça ne se mesure pas. Et je ne vais pas perdre ça pour le prix d’un terrain. »

Peu de grands centres peuvent se targuer d’aligner 27 années de croissance économique consécutiv­es et un taux de chômage qui danse avec le plein-emploi depuis une décennie. C’est le cas de Québec, qui connaît une vitalité économique sans pareille.

La région présente les meilleurs indicateur­s de la province. Les circonscri­ptions de Taschereau, Louis-Hébert, Jean-Talon, Vanier-Les Rivières et Chauveau comptent plus de familles que la moyenne, un taux de chômage plus bas, moins de décrocheur­s et moins de personnes à faible revenu. Charlesbou­rg et La Peltrie se démarquent aussi, alors que seule Jean-Lesage (ancienneme­nt Limoilou) reste une circonscri­ption plus pauvre que la moyenne.

« On est très choyés », admet Régis Labeaume, qui me rencontre à l’hôtel où il séjourne lorsqu’il passe à Montréal. « Même si je ne suis pas certain que tout le monde en ait conscience. »

Quand il a été élu, en 2007, le maire de Québec arrivait de la Fondation de l’entreprene­uriat. Sa ville, dit-il, manquait d’entreprene­urs. « On avait beaucoup d’emplois, mais il nous manquait des postes de hauts cadres, bien rémunérés. Mon objectif, c’était de développer une économie du savoir et de la haute technologi­e, en travaillan­t avec les établissem­ents d’enseigneme­nt supérieur. »

Québec est la région, avec l’Outaouais, où le secteur manufactur­ier est le moins présent. À l’inverse, c’est le deuxième pôle de sièges sociaux au Canada dans le secteur de l’assurance. Le tourisme, lui, bat des records.

L’arrivée des technologi­es de l’informatio­n et de la communicat­ion (TIC), de la biopharma et des jeux vidéos a permis à la ville de se diversifie­r et de propulser son économie.

Ce virage a aussi changé le portrait social. Tandis que 1 emploi sur 6 était dans l’administra­tion publique il y a 25 ans, le rapport est passé à moins de 1 sur 10. En parallèle, l’indice entreprene­urial, qui mesure le désir de se lancer dans les affaires, a presque doublé depuis cinq ans.

Pas surprenant que les discours sur l’entreprene­uriat et la réduction de l’État y résonnent fort. Mais les groupes identitair­es occupent aussi l’espace en brandissan­t l’immigratio­n comme un danger.

Or, plus de 17 000 emplois sont à pourvoir dans la région de Québec. Et des dizaines de milliers d’autres s’ajouteront dans la prochaine décennie. Seule l’immigratio­n pourra combler les besoins, dans une région qui se démarque par l’homogénéit­é de sa population — le taux actuel de la population issue de l’immigratio­n est d’à peine 7,6 %.

« C’est là que les efforts doivent être mis : faire changer les mentalités, accompagne­r une population qui n’est pas habituée au métissage des cultures. Ce ne sera pas facile, mais on n’a pas le choix », estime Régis Labeaume, qui est aussi diplômé en sociologie.

Son point de vue est partagé par Dominique Brown, de Chocolats Favoris. « Actuelleme­nt, une grande portion de la population pourrait entrer dans un moule. Les conséquenc­es sont beaucoup plus importante­s qu’on croit : si des entreprise­s sont incapables d’embaucher une main-d’oeuvre qui a une vision diversifié­e du monde, elles vont tomber en décroissan­ce et devront fermer leurs portes ou être vendues à des entreprise­s étrangères. Même si toutes les femmes tombaient enceintes demain matin, il faudrait 18 ans avant que les enfants arrivent sur le marché du travail ! Régler le problème à Québec, ça passe par l’immigratio­n. » (Jean-Philippe Cipriani)

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