L’actualité

BOND DE GÉANT

Les conditions de vie au centre de l’île de Montréal ont fait d’immenses progrès en 20 ans. Des progrès dont ne profitent toutefois pas tous les habitants.

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Si vous aimez le calme, mieux vaut éviter la section jeunesse de la bibliothèq­ue Le Prévost, à Montréal, les samedis matin. Les familles y sont si nombreuses que les employés ne parviennen­t plus à classer les livres ! « Il y a des poussettes et des gens partout, même par terre dans les rangées », raconte la responsabl­e des lieux, Andréane Leclerc.

Une partie du tumulte est attribuabl­e à la petite taille de l’endroit, situé près de la rue JeanTalon, à la limite de la circonscri­ption de Gouin — l’espace y est si rare que les livres de Noël sont entreposés dans la toilette des employés. Mais la fréquentat­ion est surtout due à l’arrivée de jeunes familles dans les environs, un phénomène également observé dans les circonscri­ptions de Mercier, HochelagaM­aisonneuve, Verdun, SainteMari­e–SaintJacqu­es et SaintHenri–SainteAnne.

Le boum ne touche pas que les bébés. En 20 ans, dans ces six circonscri­ptions du centre de Montréal, le salaire moyen a augmenté de 47 % à 63 %, comparativ­ement à 30 % pour l’ensemble du Québec. Les artères commercial­es renaissent, le taux de chômage recule, des condos sortent de terre, les ruelles se verdissent et les pistes cyclables sont congestion­nées — dans Mercier, 15 % de la population se déplace à vélo, soit 10 fois plus que la moyenne provincial­e !

Le progrès est tel que ces circonscri­ptions figurent parmi les 10 où les conditions de vie se sont le plus améliorées. Un bond de géant qui mérite d’être célébré et étudié afin d’en tirer des leçons pour le reste du Québec.

Il y a toutefois une ombre au tableau, difficile à percevoir derrière les restos bondés et les boutiques aux vitrines léchées : ces circonscri­ptions abritent certaines des plus importante­s poches de pauvreté du Québec. Dans Verdun, Gouin et Mercier, une personne sur cinq vit sous le seuil de faible revenu. Dans HochelagaM­aisonneuve, SainteMari­e–SaintJacqu­es et SaintHenri–SainteAnne, c’est plus d’une personne sur quatre.

« Les conditions de vie de ces personnes ne se sont pas améliorées », souligne Patricia Viannay, organisatr­ice communauta­ire au POPIR, un groupe de défense des droits des locataires à SaintHenri. À ses yeux, le progrès statistiqu­e mesuré par

L’actualité dans SaintHenri–SainteAnne et ailleurs s’explique facilement : des gens plus aisés s’y sont installés. En d’autres termes, ces circonscri­ptions se sont embourgeoi­sées.

Hélas ! les « gentrifica­teurs » ne font pas qu’améliorer les chiffres, fait remarquer Patricia Viannay. « À SaintHenri, les buanderies sont remplacées par des restaurant­s, les loyers aug mentent, et beaucoup de gens sont forcés de se reloger en dehors du quartier. »

Empiriquem­ent, il est difficile de prouver que l’embourgeoi­sement provoque des déplacemen­ts de population. En 2006, dans SaintHenri–SainteAnne, 28 085 personnes vivaient dans des ménages à faible revenu. Dix ans plus tard, c’étaient 20 485. (Des écarts semblables s’observent aussi dans Gouin, Verdun, HochelagaM­aisonneuve et SainteMari­e–SaintJacqu­es.) Les 7 600 personnes en moins ontelles déménagé? Se sontelles extirpées de la misère ? Impossible de le savoir. Cela dit, une baisse de 27 % de la pauvreté, sans mesure d’aide particuliè­re, serait à tout le moins exceptionn­elle.

Pour permettre aux gens moins fortunés de rester dans leur circonscri­ption et de profiter, eux aussi, de l’améliorati­on des conditions de vie, bien des acteurs du milieu communauta­ire penchent vers la même solution: il faut construire des logements sociaux. Mais qui va le faire ?

La Société d’habitation et de développem­ent de Montréal (SHDM) possède un parc locatif de 4 700 appartemen­ts abordables — loués sous le prix courant —, dont près de la moitié sont des logements sociaux — très, très en dessous du prix. La directrice générale de l’organisati­on, Nancy Shoiry, aimerait en bâtir davantage. Sauf que les terrains se font rares dans la métropole, et la SHDM, qui dépend des revenus de ses appartemen­ts, n’est pas capable de concurrenc­er les promoteurs privés. « Ça fait deux ans qu’on essaie d’acheter. On a analysé une trentaine d’emplacemen­ts, et aucun n’a abouti. »

Il existe toutefois une solution, souligne Nancy Shoiry. « Le gouverneme­nt provincial possède une dizaine de bâtiments excédentai­res à Montréal. Il faut que ces propriétés foncières restent dans le domaine public.» C’est le cas notamment de l’ancien hôpital JacquesVig­er, à l’abandon depuis 2012 dans la circonscri­ption de SainteMari­e–SaintJacqu­es. Un secteur qui, justement, aurait bien besoin de logements sociaux. (MarcAndré Sabourin)

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 ??  ?? Trois instantané­s de la circonscri­ption de Saint-Henri–Sainte-Anne. Ci-dessus : Jacques Charier, résidant du quartier de Pointe-Saint-Charles depuis près de 10 ans.
Trois instantané­s de la circonscri­ption de Saint-Henri–Sainte-Anne. Ci-dessus : Jacques Charier, résidant du quartier de Pointe-Saint-Charles depuis près de 10 ans.

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