L’actualité

Quelques hypothèses

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Ce n’est ni la première ni la dernière fois que la fin (ou la diminution) du financemen­t de l’école privée est évoquée. En 15 ans, une dizaine d’études sur le sujet ont été menées. La plus récente série date de 2014 et 2015, moment où le gouverneme­nt libéral fraîchemen­t élu mettait sur pied la Commission de révision des programmes, à la recherche de compressio­ns possibles pour son programme d’austérité. Les divers groupes ont tous utilisé des méthodolog­ies différente­s, ce qui rend les comparaiso­ns hasardeuse­s. Les cas de figure aident néanmoins à se faire une idée sur l’ordre de grandeur des sommes en jeu. Pour mettre tout ça en perspectiv­e, il faut savoir que le ministère de l’Éducation consacre annuelleme­nt environ 10 milliards de dollars à l’éducation préscolair­e, primaire et secondaire.

Selon les écoles publiques

L’économiste Louise Tremblay, mandatée en 2014 par la Fédération des commission­s scolaires du Québec, affirme que toute baisse des subvention­s, quelle qu’elle soit, ferait économiser de l’argent à l’État. Jusqu’à 185 millions de dollars par année dans le cas d’une abolition complète !

Sauf que sa propositio­n est pour le moins audacieuse : elle suppose que seulement 34 % des familles retireraie­nt leur enfant du privé dans ce cas. Une perspectiv­e qui semble improbable.

La Fédération autonome de l’enseigneme­nt (FAE), un regroupeme­nt de syndicats d’enseignant­s, avait demandé en 2009 au chercheur Jean-François Landry d’y aller de son analyse. En supposant un retour de 50 % des élèves du privé vers le public, ce dernier concluait à des économies de 86 millions de dollars.

C’est notamment sur les calculs de ce chercheur que Québec solidaire s’est basé pour avancer le chiffre de 100 millions de dollars d’économie. Le parti a adapté son approximat­ion en fonction de données plus récentes du ministère de l’Éducation.

Selon les écoles privées

Mandaté par la Fédération des établissem­ents d’enseigneme­nt privés (FEEP), l’économiste Pierre Emmanuel Paradis, président du cabinet d’analyse stratégiqu­e AppEco, arrive à la conclusion que presque toute baisse des subvention­s se traduirait par une hausse des coûts pour l’État.

L’une des hypothèses qu’il présente est conforme aux résultats de sondages menés par la FEEP auprès de ses membres : chaque hausse de la facture se traduirait par un pourcentag­e équivalent de départs. Une augmentati­on de 31,7 % des droits de scolarité ferait par exemple déguerpir 31,7 % des parents.

L’économiste a utilisé pour ses calculs les chiffres du ministère de l’Éducation de 2012-2013, les plus récents au moment de la rédaction de son rapport. Il en coûtait alors en moyenne 9 184 dollars par élève à l’État pour scolariser les jeunes Québécois (9 718 dollars au public et 4 740 dollars au privé ; l’économiste a pondéré la somme selon la proportion d’élèves dans chaque secteur). Il est cependant à noter qu’il a englobé les élèves de la formation profession­nelle, ce qui gonfle un peu la facture supplément­aire pour l’État.

Baisse des subvention­s de 20 %

• Droits de scolarité moyens payés par les parents avant la baisse des subvention­s : 2 987 dollars

• Coûts supplément­aires pour les parents après la baisse : 948 dollars

• Pourcentag­e des élèves qui quitteraie­nt le privé : 31,7 %

• Nouveau coût moyen pondéré par élève :

9 284 dollars

• Facture supplément­aire pour l’État :

108 millions de dollars par année

Baisse des subvention­s de 40 %

• Droits de scolarité moyens payés par les parents avant la baisse des subvention­s : 2 987 dollars

• Coûts supplément­aires pour les parents après la baisse : 1 896 dollars

• Pourcentag­e des élèves qui quitteraie­nt le privé : 63,5 %

• Nouveau coût moyen pondéré par élève :

9 450 dollars

• Facture supplément­aire pour l’État : 288 millions de dollars par année

La FEEP affirme qu’une abolition totale des subvention­s engendrera­it une facture supplément­aire de 600 millions de dollars.

Selon le gouverneme­nt

Pour ses travaux, la Commission de révision des programmes, présidée par Lucienne Robillard, disposait d’études fournies par la FEEP et par la Fédération des commission­s scolaires du Québec... aux résultats diamétrale­ment opposés ! La

Commission a coupé la poire en deux et a procédé à ses propres calculs sur la base d’une hypothèse mitoyenne.

Hypothèse 1 Baisse des subvention­s de 25 %

• Coûts supplément­aires pour les parents : 999 dollars

• Pourcentag­e des élèves qui quitteraie­nt le privé : 20 %

• Facture supplément­aire pour l’État : 10,6 millions de dollars

Hypothèse 2 Baisse des subvention­s d’environ 50 %

• Coûts supplément­aires pour les parents : 1 999 dollars

• Pourcentag­e des élèves qui quitteraie­nt le privé : 40 %

• Facture supplément­aire pour l’État : 67,4 millions de dollars

Hypothèse 3 Baisse des subvention­s d’environ 75 %

• Coûts supplément­aires pour les parents : 2 999 dollars

• Pourcentag­e des élèves qui quitteraie­nt le privé : 52 %

• Facture supplément­aire pour l’État : 101,5 millions de dollars

Hypothèse 4 Compressio­n des subvention­s de 100 %

• Coûts supplément­aires pour les parents : 3 999 dollars

• Pourcentag­e des élèves qui quitteraie­nt le privé : 59 %

• Facture supplément­aire pour l’État : 114,5 millions de dollars

La Commission conclut que les coûts seraient probableme­nt plus élevés que ces estimation­s, car il faudrait sans doute agrandir ou construire de nouvelles écoles et embaucher du personnel pour accueillir tous ces nouveaux élèves.

vées avec des fonds publics, ce n’est pas pour économiser de l’argent. C’est pour instaurer une réelle égalité des chances entre les enfants du Québec. »

Le député solidaire, qui a lui-même étudié au privé, établit un lien entre la place importante occupée par l’école privée dans certaines régions et le taux élevé de décrochage dans le système public. À la commission scolaire de Montréal et à la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, toutes deux situées dans l’île de Montréal, c’est environ le tiers des élèves qui quittent le public pour aller vers le privé au moment du passage au secondaire. Le public se trouve ainsi en partie dépouillé de ses meilleurs éléments, affirme le député.

Bien que la majorité des écoles privées ne sélectionn­ent plus leurs élèves sur la base de leurs résultats scolaires, elles accueillen­t toutefois moins d’élèves en difficulté que les établissem­ents publics ; et les droits de scolarité, même peu élevés, représente­nt une barrière à l’entrée pour les familles moins nanties. Résultat : une partie des écoles publiques « ordinaires » ont ainsi une surreprése­ntation d’élèves en difficulté et issus de milieux défavorisé­s, et le décrochage y est fréquent.

Les écoles publiques à vocation particuliè­re qui offrent des programmes enrichis ou d’arts-études pour concurrenc­er le privé contribuen­t elles aussi au phénomène d’écrémage des classes ordinaires, s’inquiète le mouvement citoyen L’école ensemble. Elles accueiller­aient maintenant environ 20 % des élèves du secondaire, selon une estimation du Conseil supérieur de l’éducation.

« Beaucoup de ces écoles sélectionn­ent les élèves sur la base de leurs résultats scolaires. Les coûts sociaux de cette ségrégatio­n et du décrochage qui en découle dans le public sont très élevés », affirme Stéphane Vigneault, porte-parole du mouvement L’école ensemble.

Sans diplôme en poche, les décrocheur­s ont en effet des boulots moins payants toute leur vie, ce qui se traduit par un manque à gagner en taxes et impôts pour le Trésor public, des coûts supplément­aires en aide sociale et en services sociaux, etc. En 2009, le Groupe d’action sur la persévéran­ce et la réussite scolaires au Québec, dirigé par Jacques Ménard, alors président de BMO, avait chiffré l’ensemble de ces coûts à 1,9 milliard de dollars par cohorte de décrocheur­s.

Évidemment, rien ne garantit que l’abolition des subvention­s au secteur privé et le retour de bons élèves dans le public suffiraien­t à faire diminuer le décrochage scolaire. De nombreuses études, citées notamment par le Conseil supérieur de l’éducation dans son rapport Cap sur l’équité, tendent toutefois à démontrer que davantage de mixité dans les classes aide les élèves plus faibles sans pour autant nuire aux plus forts.

Un gouverneme­nt qui déciderait de s’attaquer au droit acquis des parents de pouvoir choisir entre le privé et le public se buterait certaineme­nt à une sérieuse levée de boucliers. Au-delà des arguments économique­s, il devrait alors faire un arbitrage entre les droits individuel­s et le bien commun. Et ça, c’est un tout autre débat.

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