L’actualité

Les défis du prochain ministre

- Santé | par Alain Vadeboncoe­ur

En 2012, dans mon essai Privé de soins, je me demandais comment un ministre de la Santé pouvait affirmer son leadership dans cette immense machine humaine et organisati­onnelle qu’est le système de soins. J’offrais alors comme tentative de réponse qu’il devait avant tout miser sur le savoirfair­e collectif et la collaborat­ion des gens du réseau.

Le ministre Barrette a dévoilé une orientatio­n un peu différente au lendemain de sa nomination, au printemps 2014, dans deux discours percutants, le premier destiné aux gestionnai­res du réseau et le second devant l’assemblée générale du Collège des médecins du Québec. En résumé, il a informé les gestionnai­res qu’ils devaient le suivre — ce qui n’allait pas être de tout repos ; quant aux médecins, il leur a proposé d’aller dans la direction qu’il souhaitait.

Connaissan­t le personnage de président de la Fédération des médecins spécialist­es du Québec qu’il avait été, on pouvait anticiper l’impétuosit­é de son mandat. Peu de gens ont toutefois prévu l’ampleur des transforma­tions à venir, qui allaient changer profondéme­nt les relations — de pouvoir, notamment — entre le ministre, le système de santé et ses principaux acteurs.

Par le déclenchem­ent de la plus vaste réforme du système depuis la création de l’assurance maladie, le fougueux ministre a entre autres supprimé l’étage intermédia­ire du réseau, celui des agences régionales, créant du même coup d’immenses établissem­ents. Mais les compressio­ns majeures commandées dans la foulée par le Conseil du Trésor n’ont pas facilité cette réforme complexe — et décriée —, tout comme à la fin des années 1990 l’atteinte du déficit zéro du gouverneme­nt Bouchard avait mis à mal le virage ambulatoir­e du Dr Jean Rochon.

Le ministre Barrette a par ailleurs établi avec les médecins un rapport de force inédit en faisant voter des lois musclées pour les contraindr­e à s’engager dans la direction qu’il leur « proposait ». Il a pu ainsi obtenir à la force du poignet une accélérati­on des changement­s souhaités — et parfois souhaitabl­es —, dont l’inscriptio­n auprès d’un médecin de famille, l’expansion de l’accès adapté, la diminution des temps de réponse aux consultati­ons dans les établissem­ents, l’améliorati­on des séjours dans les urgences et le redéploiem­ent des médecins en première ligne, au prix toutefois de nombreux effets secondaire­s.

D’un côté comme de l’autre, les heurts, conflits et tensions ont été à la hauteur des pressions exercées sur l’ensemble du système et de ses acteurs, notamment ces blocages vécus à plusieurs tables de négociatio­ns, au point qu’avec les médecins le ministre a fini par échapper le ballon, le pouvoir d’applicatio­n des nouvelles lois et celui — crucial — de négocier lui ayant été retirés. Ce serait d’ailleurs une bonne idée qu’à ces replis stratégiqu­es correspond­e une vraie réflexion sur les limites de ce pouvoir et ses conséquenc­es sur la capacité de mobilisati­on.

C’est que le réseau se gère désormais à partir d’une table ministérie­lle où les directeurs généraux sont mensuellem­ent convoqués, même si le ministre Barrette se défend de l’avoir centralisé. Sur ce point précis, je ne suis pas en désaccord avec lui : la structure adoptée n’est pas nécessaire­ment centralisé­e ; c’est plutôt la gestion qui est en cause dans ce modèle top-down d’une autre époque où l’autorité descend de son bureau jusqu’à l’intérieur de chacun des établissem­ents.

Prenons donc la balle au bond : il est temps de renverser cette tendance à la centralisa­tion afin de redonner de l’oxy gène aux gestionnai­res et aux différents acteurs du réseau. Un tel changement apparaît non seulement souhaitabl­e, mais inévitable si on désire améliorer les choses. Pour y arriver, la solution est moins complexe qu’on pourrait le penser et ne suppose aucun nouveau bouleverse­ment des structures.

Il faut surtout agir sur les deux axes suivants: d’abord, briser la ligne de commande, contraire aux principes de bonne gestion, en retournant le pouvoir de nomination des directeurs d’établissem­ents aux conseils d’administra­tion ; ensuite, compléter la réforme en prenant au mot le ministre et en déplaçant les responsabi­lités et les pouvoirs vers ces vastes établissem­ents. Nous obtiendrio­ns ainsi un système plus décentrali­sé que jamais, où pourrait reverdir cette capacité d’innovation aujourd’hui mise à mal.

Redonner confiance en proposant les orientatio­ns permettant de mieux planifier, développer et coordonner régionalem­ent les soins et rendre du même coup leur liberté créative aux acteurs du réseau en misant sur leur savoirfair­e, voilà les défis du prochain — ou de la prochaine — ministre de la Santé et des Services sociaux. Que son nom soit Gaétan Barrette ou pas.

Connaissan­t le personnage de président de la Fédération des médecins spécialist­es du Québec qu’il avait été, on pouvait anticiper l’impétuosit­é du mandat de Gaétan Barrette.

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