L’actualité

Quand les mégadonnée­s aident la police

Des algorithme­s très poussés permettent à des corps policiers de maximiser le travail des effectifs en prévoyant les endroits où des crimes ont le plus de risques de se produire dans une ville. Le Québec tarde à adopter cette technologi­e. Mais ce n’est pe

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Différents systèmes de prévision policière (aussi appelés systèmes de maintien de l’ordre prédictifs) existent depuis une dizaine d’années aux États-Unis. À Los Angeles, la police utilise un logiciel qui tient compte surtout du temps et de la géographie. En analysant les pillages de domiciles survenus dans un secteur, par exemple, les algorithme­s peuvent alerter les agents sur le fait que le risque de récidive sera accru trois semaines après un crime, mais uniquement en soirée.

« C’est une technologi­e qui met en applicatio­n plusieurs concepts connus en criminolog­ie », explique Rémi Boivin, professeur agrégé à l’École de criminolog­ie de l’Université de Montréal. Comme il le répète souvent dans ses cours, « la meilleure manière de savoir où sera la criminalit­é l’an prochain est de regarder où elle est cette année ». C’est ce que fait, d’une façon systématiq­ue, la prévision policière qui repose sur les lieux.

Les policiers de Chicago utilisent quant à eux un autre système, basé sur les données concernant les personnes. Près de 400 000 résidants ayant un casier judiciaire sont répertorié­s dans la Strategic Subjects List. Un algorithme donne à chacun une note sur 500 en fonction de huit critères, dont le nombre d’arrestatio­ns, l’âge, s’ils ont eux-mêmes été victimes d’un crime ou pas... Ceux dotés d’une note élevée risquent de perpétrer plus de crimes, selon le système, et doivent donc s’attendre à des visites de la police et à un traitement différent lors d’une arrestatio­n, par exemple.

Les mégadonnée­s commencent à être utilisées par certains corps policiers canadiens, notamment à Edmonton et à Vancouver, mais pas au Québec. À la Sécurité publique, on dit connaître cette approche, mais ne pas s’être « penchés expresséme­nt sur la question ». Ce retard technologi­que est pour l’instant une bonne nouvelle.

Les mégadonnée­s ont le potentiel d’améliorer le travail des policiers, mais elles comportent aussi des risques importants. La prévision policière qui repose sur les personnes est particuliè­rement problémati­que, estime Andrew G. Ferguson, professeur de droit à l’Université du district de Columbia, à Washington, et auteur du livre The Rise of Big Data Policing : Surveillan­ce, Race and the Future of Law Enforcemen­t (NYU, 2017). « Si vous êtes répertorié à Chicago, la police peut venir frapper à votre porte. C’est une mesure de contrôle social et de surveillan­ce », dit-il à L’actualité.

Les données utilisées par les algorithme­s peuvent aussi être tendancieu­ses, lorsqu’une communauté ethnique précise est surveillée de près par les agents, par exemple. Ces préjugés peuvent être amplifiés par les systèmes informatiq­ues.

À l’heure actuelle, les programmes de prévision policière sont des expérience­s sur le terrain, et ce sont les population­s déjà victimes de profilage qui risquent d’en faire les frais. Un travail d’analyse éthique et criminolog­ique important devrait être réalisé avant de déployer cette technologi­e à grande échelle.

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