Le Carillon

Le Canada, ultime refuge des immigrants?

- JEAN-PIERRE DUBÉ

L’élection du président Donald Trump en novembre a moussé l’islamophob­ie sur le continent. La hausse d’incidents et de crimes haineux en sol américain pousse un nombre croissant de réfugiés et d’immigrants à risquer leur vie pour recommence­r à zéro au Canada. Ils n’attendent pas le printemps.

La plupart fuient les États-Unis en franchissa­nt la frontière au Québec. D’autres traversent en Colombie-Britanniqu­e (130 en 2017) et au Manitoba (500 au cours des derniers six mois).

« Des gens appellent et demandent comment faire pour traverser la frontière albertaine, a expliqué la professeur­e de sociologie à l’Université de Calgary, Amal Madibbo. Ils se sentent menacés. Ils veulent venir à Calgary ou ailleurs dans la province. Ils veulent savoir où c’est le plus facile de traverser. »

La chercheuse d’origine soudanaise ne les encourage pas. « On ne peut pas marcher à travers la frontière albertaine : c’est une dizaine d’heures de marche, il y a des montagnes, de la neige et plus de contrôles. »

Qui migre ? Des réfugiés, des nouveaux arrivants et même des résidents permanents issus de minorités visibles. Certains ont songé à retourner dans leur pays d’origine, une impossibil­ité pour les réfugiés politiques. Parce que bien des vols pour l’Afrique passent par les États-Unis, d’autres n’osent pas se déplacer, même s’ils ne sont pas originaire­s des pays visés par le décret antimigrat­oire de la Maison-Blanche.

Désespérés, ils croient que le Canada est leur meilleur choix et ils étudient la frontière pour trouver les points faibles. Un chauffeur de taxi du Dakota du Nord a déclaré à RadioCanad­a que les fuyants arrivent en autobus à Grand Forks et lui paient 200 $ pour franchir les 100 km qui les séparent de la frontière manitobain­e.

Ces migrants ne savent pas que le US Border Patrol les surveille. « On maintient une présence le long de la frontière, a dévoilé au Winnipeg Free Press le chef patrouille­ur pour Grand Forks, Aaron Heitke. On est en contact quotidien avec nos vis-à-vis canadiens pour leur dire qui se dirige vers le nord. On leur fournit une descriptio­n du groupe et sa position. »

L’agent fédéral affirme que la traversée de la frontière n’a rien d’illégal et que sa mission n’est pas d’intervenir, mais d’assurer la sécurité des réfugiés en cas d’urgence. « Plusieurs viennent de l’Afrique, a noté l’agent. Ils ne sont pas familiers avec le froid brutal d’ici. Notre intention est humanitair­e. »

À Winnipeg, le seul centre d’hébergemen­t temporaire pour les réfugiés déborde. Dans un communiqué du 13 février, relate le récent parcours de cinq heures, la nuit, de 21 Somaliens et Djiboutien­s, incluant trois jeunes enfants. Le groupe aurait franchi de grandes étendues de neige jusqu’aux genoux, à 20 degrés sous zéro.

L’auteure de plusieurs études sur les défis des immigrants de l’Afrique subsaharie­nne encourage les chercheurs d’asile à demeurer en sol américain et à s’attacher aux mouvements de résistance.

Le Canada n’est pas une panacée, selon Amal Madibbo, malgré sa réputation de société accueillan­te. « On a vécu une montée de haine et de discrimina­tion depuis l’élection américaine. Même avant l’incident de la Mosquée de Québec, il y avait plus d’affiches et des slogans haineux contre les musulmans, les juifs, les Noirs et autres minorités visibles, contre les femmes aussi. »

La persécutio­n frappe également ceux et celles qui sont nés au Canada. Selon la sociologue, il faut arrêter de faire la différence entre les immigrants et les citoyens : tous sont chez eux.

Que peuvent faire les Canadiens ? « Une merveilleu­se solidarité a été exprimée à la suite de l’attaque dans la mosquée, par les politicien­s et la société civile. On a reçu le message très fort qu’on ne tolère pas l’intoléranc­e. On est donc rassuré. »

Amal Madibbo croit que les minorités visibles, en particulie­r les musulmans, ont grandement besoin qu’on les accueille et qu’on leur offre notre protection. Elle encourage les citoyens à visiter les mosquées, à établir des liens avec les musulmans et à s’informer sur l’Islam.

 ??  ?? En 2016, la professeur­e Amal Madibbo a reçu le Leadership in Internatio­nalization Award de l’Université de Calgary pour ses travaux. La voici en 2008 avec un groupe de jeunes filles, à proximité d’une zone de guerre dans l’Ouest du Soudan.
En 2016, la professeur­e Amal Madibbo a reçu le Leadership in Internatio­nalization Award de l’Université de Calgary pour ses travaux. La voici en 2008 avec un groupe de jeunes filles, à proximité d’une zone de guerre dans l’Ouest du Soudan.

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