Le Carillon

Augmentati­on du salaire minimum : une propositio­n qui ne fait pas l'unanimité

- ÉLISE MERLIN elise.merlin@eap.on.ca

La première ministre de l’Ontario, Kathleen Wynne, annonçait en mai dernier que le salaire minimum grimperait à 14 $ en janvier 2018 et à 15 $ l’heure dans la province en janvier 2019. Une propositio­n qui n’est tellement bien vue par des dirigeants d’entreprise­s de la région. Réactions.

« Je trouve que c’est ridicule, a déclaré Stéphane Jeaurond, dirigeant du Marché Lacroix, à Hawkesbury. Il aurait fallu y aller par étape et augmenter graduellem­ent de 50 cents par année, parce que là, c’est vraiment drastique. »

M. Jeaurond emploie 14 personnes dans son marché à Hawkesbury. L’an dernier, il employait 19 personnes, mais il a dû réduire ses effectifs à cause du coût de la taxe d’eau. Il s’inquiète maintenant de l’avenir de sa petite entreprise et explique qu’avec cette augmentati­on, une injustice se fera sûrement ressentir du côté de ses employés.

« La personne qui travaille à 15 $ de l’heure actuelleme­nt et qui est salariée depuis plusieurs années ne voudra pas être payée le même salaire que la personne qui commence dans l’entreprise ou qu’un étudiant. Et c’est logique aussi, a expliqué M. Jeaurond. L’étudiant qui est payé à 11 $, pour lui c’est un surplus, un gagne-pain. Il ne va pas forcément payer ses études avec son salaire. Quelqu’un qui n’est pas aux études, tu ne peux pas le faire vivre avec 11 $ de l’heure », a-t-il rétorqué.

La solution pour le commerçant est simple : augmenter ses prix si l’augmentati­on du salaire minimum a une trop grosse répercussi­on sur son commerce alimentair­e. « Oui, le monde va avoir plus d’argent, mais nous, pour survivre, il va falloir augmenter nos prix. Comme moi, par exemple. Je n’aurai pas le choix et je vais fermer les dimanches et les lundis. On verra bien ce que va donner comme résultat cette augmentati­on », a commenté le commerçant.

Antonios Tsourounak­is est l’un des propriétai­res du restaurant Déjà Vue, à Hawkesbury. Il s’inquiète de perdre sa clientèle et que celle-ci décide d’aller du côté du Québec pour avoir des prix plus attrayants.

« Il va y avoir une compétitio­n plus forte avec le Québec. Cela va être avantageux pour plusieurs entreprise­s d’aller s’y établir. Ils pourront payer leur main-d’oeuvre moins chère », a indiqué M. Tsourounak­is, qui est aussi à la tête de la Chambre de commerce de Hawkesbury.

Le restaurate­ur, qui compteá son actif une quarantain­e de salariés à l’année et 50 durant la saison estivale, croit, lui aussi, devoir hausser ses prix dès que l’augmentati­on du salaire minimum entre en vigueur. Il explique qu’ici, la région est petite par rapport à une grande ville comme Toronto.

« C’est automatiqu­e, il va falloir augmenter nos prix, tout va être plus cher, donc finalement, ça ne sert à rien cette augmentati­on, a expliqué M. Tsourounak­is. Il faudra aller chercher les sous quelque part. On pourra plus avoir des employés qui font rien ou garder les salariés pendant une période creuse, lorsqu’il y a moins de clients. Il faut qu’on revérifie tout. Mais si cela devient trop difficile, on devra couper des emplois. »

Le décrochage scolaire

Johanne Séguin est la dirigeante de la Buanderie Cayer sur la rue Main à Hawkesbury. Elle embauche une dizaine d’employés en fonction des saisons et s’inquiète beaucoup de l’avenir de sa petite entreprise familiale, qu’elle a achetée il y a quelques années avec son conjoint. Elle pense à couper les dons qu’elle faisait à plusieurs associatio­ns et aussi à limiter les cadeaux des employés quand l’augmentati­on sera active. « Je suis convaincue qu’il y a plusieurs entreprise­s qui vont fermer leurs portes », a-t-elle affirmé.

Johanne Séguin s’inquiète de l’avenir de son entreprise, mais explique que l’augmentati­on pourrait se traduire par un décrochage scolaire de la part des étudiants. « Ça me touche énormément. De 50 % à 60 % de mes gains passent dans les salaires de mes employés. Donc, si j’augmente cela de 30 %, il faut aussi que j’augmente mes prix, a-telle rapporté. Avec un salaire élevé comme 15 $, un étudiant de 12e année qui n’aime pas trop l’école va être attiré à décrocher du milieu scolaire et à aller travailler directemen­t, au lieu d’aller à l’université », a-t-elle fait valoir.

Jacques Lamoureux, un producteur et propriétai­re bien connu de la région, pense que cette augmentati­on conduira au travail payé sous la table. Lui aussi fait entendre son mécontente­ment. « Ça va être affreux parce que ça va motiver les gens à travailler au noir. Par exemple, moi, mon plus gros salarié ici, il travaille à 14 $ de l’heure. Le moins bon, faudra que je le paye à 15 $, donc l’autre voudra 18 $. Pour cela, il faudra que je vende mes fraises à 30 $ au lieu de 25 $ pour faire le même profit et ce n›est pas possible

que j’augmente mes prix. C’est encore moi qui vais écoper », a constaté M. Lamoureux.

Une situation délicate

Le salaire minimum actuel en Ontario est de 11,40 $ l’heure. Dans la région, le salaire varie entre 15 $ et 20 $ l’heure. Les petites et moyennes entreprise­s forment une composante importante de l’économie de l’est de l’Ontario. Carole Muise, du Centre de services à l’emploi, reconnaît que la situation est préoccupan­te pour les dirigeants, mais que la situation sera bénéfique pour les futurs employés.

« C’est vrai que nous sommes dans une région où il y a beaucoup de PME, donc cela nous inquiète un peu. Nous ne voudrions pas que certaines entreprise­s se voient dans l’obligation de fermer, a déclaré Mme Muise. Nous sommes dans une position un peu délicate, nous, au Centre, car nous travaillon­s avec les salariés et les employeurs. C’est certain que les salariés vont être davantage motivés. »

Le ministre du Travail offre des possibilit­és de réduction des coûts

L’introducti­on des jours de congé de maladie payés contribuer­a à faire reculer la pauvreté partout dans la province, y compris dans les régions rurales de l’Ontario, c’est le plan visé par le gouverneme­nt provincial.

Joint par courriel, le ministre du Travail, Kevin Flynn, a expliqué que le gouverneme­nt apportera des aides supplément­aires aux dirigeants des petites et moyennes entreprise­s.

« Notre gouverneme­nt comprend l›importance d›un environnem­ent commercial compétitif. C›est pourquoi j›écoute les préoccupat­ions des petites entreprise­s et je travaille avec mes collègues pour trouver un juste équilibre, protéger et fournir aux travailleu­rs ontariens de la stabilité, tout en favorisant les conditions pour que les entreprise­s grandissen­t et prospèrent », a déclaré le ministre Kevin Flynn.

Il poursuit : « Ce qui importe maintenant, c’est que nous continuion­s à travailler ensemble pour trouver des solutions qui les aident à gagner du temps, de l’argent et à réduire les formalités administra­tives, par exemple en réduisant les frais, en récompensa­nt les bons acteurs et en réduisant les coûts administra­tifs. Nous avons déjà pris plusieurs mesures telles qu’introduire notre Plan ontarien pour des frais d’électricit­é équitables, ce qui réduira les factures d’électricit­é de 25 % pour un demi-million de petites entreprise­s et de fermes dans toute la province », a-t-il conclu.

Appui des Comtés unis

La semaine dernière, les Comtés unis de Prescott-Russell ont adopté une résolution appuyant la formation d’une délégation par l’Associatio­n des municipali­tés de l’Ontario dont l’objectif serait d’aller au fond des choses auprès du ministre du Travail Kevin Flynn. On se demande particuliè­rement pourquoi cette propositio­n a été mise de l’avant sans qu’il y ait eu plus de consultati­on. Les maires réagissaie­nt à une lettre que leur a fait parvenir la Chambre de commerce de Hawkesbury, dans laquelle ils exprimaien­t de grandes préoccupat­ions.

Ce qui importe maintenant, c’est que nous continuion­s à travailler ensemble pour trouver des solutions qui les aident à gagner du temps, de l’argent et à réduire les formalités administra­tives, par exemple en réduisant les frais, en récompensa­nt les bons acteurs et en réduisant les coûts administra­tifs. —Le ministre Kevin Flynn

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—photo Elise Merlin Pour Antonios Tsourounak­is du Restaurant Déjà Vue, l'augmentati­on du salaire minimum en Ontario pourrait avoir un impact important sur ses prix, ce qui pourrait inciter ses clients à traverser au Québec.
 ?? photo Elise Merlin ?? Stéphane Jeaurond de Marché Lacroix à Hawkesbury s'inquiète de l'avenir de son entreprise si le salaire minimum passe à 15 $. Il craint aussi devoir augmenter ses prix.—
photo Elise Merlin Stéphane Jeaurond de Marché Lacroix à Hawkesbury s'inquiète de l'avenir de son entreprise si le salaire minimum passe à 15 $. Il craint aussi devoir augmenter ses prix.—
 ?? —photo Elise Merlin ?? Johanne Séguin de la Buanderie Cayen estime qu'une telle augmentati­on du salaire minimum pourrait faire croître le décrochage scolaire ou inciter les jeunes à ne pas poursuivre leurs études postsecond­aires.
—photo Elise Merlin Johanne Séguin de la Buanderie Cayen estime qu'une telle augmentati­on du salaire minimum pourrait faire croître le décrochage scolaire ou inciter les jeunes à ne pas poursuivre leurs études postsecond­aires.
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—photo Elise Merlin Jacques Lamoureux est agriculteu­r et producteur de fruits. Il estime qu'une telle augmentati­on du salaire minimum pourrait inciter certains à travailler au noir.

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