40 ANS À SOIGNER LES DENTS
APRÈS AVOIR ÉTÉ AU SERVICE DES DENTS PENDANT 40ANS, UNE FOULE D’HISTOIRES AMUSANTES DÉFILENT DANS SA MÉMOIRE. ELLE EN A TELLEMENT À RACONTER.
Après avoir passé 40 ans à voyager dans nos bouches, à les explorer, à les scruter, à les soigner et à les guérir, la première hygiéniste dentaire de Hawkesbury a déposé, le 28 juin dernier, pour la dernière fois sa pièce à main dentaire pour une paisible retraite bien méritée.
Pour la native de Hawkesbury, qui n’appréciait pas ses études en sciences infirmières, la piqûre du métier d’hygiéniste dentaire lui est venue de son mari Serge Lacroix. « Quand j’ai vu qu’il fallait que je déménage à Toronto, je me suis dit que j’allais me diriger dans le même domaine que mon mari. Par contre, à cette époque, il avait déjà terminé sa technique dentaire en 1976 et par la suite avait dirigé sa carrière en denturologie », a expliqué Mme Lacroix.
Au George Brown College, celle-ci faisait partie de la première génération d’hygiénistes qui avaient suivi le programme dans les collèges communautaires. On avait décidé de détacher le cours de l’Université de Toronto parce qu’il pouvait être enseigné au niveau collégial.
En 1976, Mme Lacroix a commencé sa première année de cours comme assistante dentaire. Par la suite, elle s’est orientée vers l’option d’hygiéniste. Deux ans plus tard, elle obtient sa licence pour pratiquer la profession d’hygiéniste dentaire. « J’ai commencé à Toronto, de juin à décembre 1978, dans le bureau d’un dentiste qui venait justement de s’équiper en neuf et qui m’a donné son vieil équipement en me disant : « Toi, tu vas travailler dans cette salle-là », a-t-elle raconté en faisant un geste de la main comme pour dénoncer un certain dédain.
Ce sentiment de mépris pour son métier semble vite s’estomper lorsqu’elle se souvient de la vénérable vétusté de son outil de travail : « J’avais un très vieil équipement et ma pièce à main était à poulie. Tu tirais sur la poulie et c’est avec ça que tu polissais les dents », a relaté l’hygiéniste dentaire dans un éclat de rire qui permet d’admirer ses belles dents naturellement blanches.
Cette hilarité ne traduit pas seulement la vieillesse des outils de travail, elle exprime aussi une histoire bien cocasse. Outre Mme Lacroix, seul un certain monsieur avec les moustaches touffues se rappellera cette histoire.
« Je travaillais avec la pièce à main à poulie. J’avais un client qui avait une grande, grande moustache. Je commence donc à lui faire son nettoyage et une fois rendue au polissage, sa moustache s’est prise dans la poulie et il a dit ‘Oh, oh, ho !’ Il a fallu que j’aille à rebours pour démêler sa longue moustache », a-t-elle narré, amusée.
« ÇA N’A PAS ÉTÉ FACILE DE SE FAIRE ACCEPTER EN TANT QU’HYGIÉNISTE. TU N’ES PLUS JUSTE LA PETITE HYGIÉNISTE DANS LE COIN. TU AS VRAIMENT LE STATUT D’UN REPRÉSENTANT DE LA SANTÉ. »
DE TORONTO À HAWKESBURY En 1979, la roue professionnelle sur fond de poulie a cessé de tourner pour la native de Hawkesbury qui devait déménager chez elle avec son mari. Elle craignait de se retrouver au chômage dans sa ville natale, car tous les dentistes faisaient eux-mêmes le nettoyage des dents. Mais c’était sans compter cet appel du docteur Kajuira. « En décembre 1978, je reçois un appel du docteur Dennis Kajuira. Il avait entendu dire que je revenais à Hawkesbury et il était intéressé à avoir une hygiéniste dentaire qui travaillerait dans son cabinet. Il m’a demandé si j’étais intéressée à le rencontrer. Je l’ai donc rencontré en janvier 1979 et j’ai commencé à travailler. C’était sur la rue Principale, où est maintenant le bureau de la CCAC (Champlain Community Care Access Centre). C’est la première place où j’ai travaillé », a-t-elle rapporté. Aujourd’hui sexagénaire, elle n’oublie aucun détail de sa carrière dans son coin de pays, où elle a servi auprès des docteurs Dennis Kajuira et Allan Boultz de 1979 à 1984. Comme les hygiénistes dentaires ne couraient pas les rues et étaient même rares comme les merles blancs, Mme Lacroix devait faire la promotion de son métier tout en l’exerçant. « Quand je suis arrivée, on était deux à Hawkesbury. L’autre hygiéniste était diplômée du Collège Algonquin et elle travaillait au Centre de santé à L’Orignal », a-t-elle précisé.
Elle a ajouté, visiblement contente d’avoir été une pionnière dans le domaine : « Les personnes se demandaient ce que faisaient les hygiénistes dentaires. Tranquillement, les gens se sont éduqués et ont compris que lorsqu’ils venaient me voir avec les enfants, je faisais le nettoyage. Je faisais l’instruction d’hygiène et je faisais le traitement au fluorure. Avec les adultes, je faisais la même chose, détartrage, polissage et instruction d’hygiène. » Mme Lacroix estime que l’une des principales tâches de l’hygiéniste dentaire est l’enseignement. Si un patient n’a pas une bonne santé buccale, elle doit trouver toutes les façons possibles pour corriger la situation afin d’éviter les caries et ainsi diminuer la perte de ses dents.
PRATIQUE AUTONOME
De 1985 à 1998, elle a travaillé avec le docteur Denis Larocque et partiellement avec François Bédard. Pendant 10 ans, elle a servi également dans le cabinet du docteur Gary Susick, à Vankleek Hill, et a aussi remplacé la deuxième hygiéniste de la région pour un congé de maternité au Bureau de santé, à la fin des années 1990. « J’ai eu une pratique autonome de 2007 à 2018. Par contre, de 2003 à 2007 j’étais en pratique autonome, mais avec ordonnance. À partir de 2007, la loi a changé et j’ai pu être complètement autonome », a-t-elle laissé entendre.
Elle a avancé qu’à partir de cette annéelà, la profession a commencé à retrouver ses lettres de noblesse. « Ça n’a pas été facile de se faire accepter en tant qu’hygiéniste. Tu n’es plus juste la petite hygiéniste dans le coin. Tu as vraiment le statut d’un représentant de la santé. On fait maintenant partie de l’équipe de santé en tant qu’individu depuis 2007. Ce fut une belle, mais difficile transition parce qu’avant, on se sentait respecté, mais on n’était pas reconnu d’après nos capacités », a réalisé Mme Lacroix, dont le mari est denturologiste, tout comme sa fille Mélanie. Après avoir été au service des dents pendant 40ans, une foule d’histoires amusantes défilent dans sa mémoire. Elle en a tellement à raconter, mais c’est Toronto qui détient la palme. « À Toronto, le premier patient qui s’est assis dans ma chaise, alors que je travaillais chez un dentiste, a perçu mon accent francophone et m’a demandé : ‘Ah, tu n’es pas de la place, de quel endroit viens-tu ?’. Je lui ai dit : ‘Je ne te mentionne pas d’où je viens. C’est tellement une petite ville, dans l’est de l’Ontario, que tu ne dois pas la connaitre. Son expression a changé quand je lui ai dit que je venais de Hawkesbury. Et lui de répondre : ‘Quelle coïncidence, moi je viens de Vankleek Hill.’ »
Et dire que le monde est grand !