QUEL EST LE SECRET DE CETTE FAMILLE CENTENAIRE?
La longévité extraordinaire a toujours constitué un sujet de fascination. De plus en plus de Canadiens atteignent l’âge de 100 ans, d’après les plus récentes projections démographiques de Statistique Canada, publiées le 17 septembre 2019.
Même si le groupe des centenaires ne représente qu’une minorité, soit 0,2 % de la population totale, il est néanmoins le groupe d’âge qui augmenterait le plus rapidement au pays entre 2018 et 2068, selon ces statistiques. « Alimenté par les baby-boomers atteignant l’âge de 100 ans et par l’augmentation de l’espérance de vie, le nombre de centenaires (personnes de 100 ans et plus) au Canada atteindrait un sommet de 90 200 personnes en 2065, selon le scénario de croissance moyenne, comparativement à 10 000 en 2018 », selon Statistique Canada. L’explication offerte par les experts c’est que l’espérance de vie s’est accrue grâce aux progrès de la médecine, de l’hygiène et de l’alimentation. Selon un expert du vieillissement, le Dr Judes Poirier (directeur du Programme de recherche sur le vieillissement, la cognition et la maladie d’Alzheimer, au Centre de recherche Douglas et professeur titulaire, aux départements de médecine et de psychiatrie de l’Université McGill), ce sont surtout les femmes qui affichent un taux de longévité plus important que les hommes (88 % des centenaires sont des femmes), dû à leur plus grande sensibilité à la santé, au bienêtre et à leur meilleure hygiène de vie. Les hommes, semble-t-il, selon Dr Poirier, sont encore un peu derrière, en étant plus sédentaires, mais on remarque davantage d’améliorations.
Une question récurrente à propos de ce groupe d’âge est de savoir quel type de vie ils mènent, quelles habitudes alimentaires ils adoptent pour arriver à un tel âge avancé. Cependant, selon des experts en vieillissement, il faudrait plutôt regarder du côté de la personnalité de ces centenaires pour mieux comprendre leur résilience. « Les centenaires ont souvent une force de caractère particulière, une grande résilience », selon le gériatre David Lussier, de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal. « Ils sont sociaux, actifs et ne laissent pas l’anxiété les envahir. Ils contrôlent leur vie. Ce sont des personnes qui ont été très actives et qui, même après leur retraite, ont été bénévolement très engagées. Un centenaire qui vit seul, dans son coin, ça n’existe pas », a observé Dr Poirier.
C’est effectivement le cas pour la famille Proulx, une famille de centenaires atypique, du secteur de Lochiel, dans le comté de Glengarry. Parmi les six enfants de la famille, ce sont les trois frères et une soeur qui ont atteint l’âge de 100 ans ou sont près de l’atteindre. Les deux autres soeurs sont décédées, à la suite de cancers. Mercedes Proulx Cuierrier, l’ainée de la fratrie, née le 19 février 1917, est décédée juste un mois avant son 100e anniversaire. « Quand on lui demandait son âge, elle répondait ‘Je vais avoir 100 ans’, c’était sa fierté », selon sa fille, Odette Brunet.
Mme Proulx Cuierrier a toujours été une femme active, qui travaillait autant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Après son mariage, elle a élevé sa famille, a pris soin de ses beauxparents, ainsi que de sa mère vieillissante, jusqu’à leur décès, tout en gardant souvent ses trois petits-enfants.
Elle gérait la ferme avec son mari, s’occupait des comptes, s’occupait du jardin, où elle cultivait des fleurs magnifiques, s’occupait des repas, du ménage… bref, elle n’arrêtait jamais, sauf le dimanche, selon Mme Brunet. La ferme avait même remporté un prix pour le meilleur aménagement paysager dans les années 1980, selon sa fille. C’était pareil pour les concours d’artisanat auxquels elle participait : elle remportait souvent les premiers prix en couture, qui avait toujours été son passetemps préféré.
Une femme qui vivait pour sa famille, Mme Proulx Cuierrier a toujours été entourée par ses proches jusqu’au tout dernier moment de sa vie. Deux ans avant sa mort, elle a dû séjourner dans la résidence Prescott-Russell, suite à une mauvaise chute qui lui a cassé la hanche et l’a malheureusement contrainte à se déplacer en fauteuil roulant. Dotée d’une mémoire remarquable, elle était autonome et en bonne santé avant sa chute à l’âge de 98 ans. Jamais sur un régime alimentaire, elle mangeait toutefois sainement et modérément, étant toujours debout et s’activant, à travers ses multiples activités, malgré des ulcères aux jambes qui la faisaient souffrir.
« Quand je regarde le parcours de vie de ma mère, je me dis que ce n’est pas le travail qui fait mourir. Elle a eu une vie bien remplie, nous a transmis de belles valeurs que nous essayons de garder vivantes dans la famille. Un modèle pour moi », a conclu Mme Brunet. Jean Réal Lucien Proulx, le deuxième de la fratrie, vient de fêter ses 100 ans le 22 novembre dernier. Il avait travaillé sur la ferme familiale jusqu’à l’âge de 30 ans avec son père et ses deux autres frères, René, aujourd’hui âgé de 98 ans et Émilien, de 92 ans.
« Jeune, il aimait la musique et jouait de la guitare, du violon et du piano dans un groupe avec ses frères les fins de semaine, pour gagner un peu d’argent, son père ne pouvant se permettre de le payer pour le travail effectué sur la ferme », selon sa fille, Mme Louise Renaud.
Monteur de matrices et chef de groupe, il a travaillé pour General Motors pendant 32 ans. Une personne très active, il a toujours aimé poursuivre ses passetemps préférés : travailler le bois et restaurer des voitures anciennes. Cette même passion pour les voitures anciennes l’a amené à se joindre au Club automobile de Canada Capital « A » à Ottawa. Plus tard, en 2015, à l’âge de 95 ans, lorsqu’il a déménagé dans une maison de retraite, il a amené avec lui son roadster de luxe Ford modèle A 1930, qu’il avait fini de restaurer en 1982.
« Papa a toujours été une âme douce et très sociable », selon sa fille. C’est ainsi qu’en 1984, lorsqu’il a pris sa retraite de GM, il a déménagé à North Gower, près d’Ottawa, afin d’être près de sa fille unique, qui venait d’avoir une fille. Maintenant qu’il vit en résidence depuis cinq ans, sa fille, ses deux petites-filles et ses quatre arrière-petits-enfants lui rendent visite régulièrement. Il vit entouré et participe toujours aux activités de la résidence. Même s’il souffre d’une démence à courte durée et qu’il utilise un déambulateur pour l’aider avec les fractures de compression de son dos, Mme Renaud estime que son père est « toujours très alerte et il a une bonne qualité de vie, même à 100 ans ».
De bons gènes ? Peut-être bien, mais ça ne joue que 30 % dans l’histoire de vie d’un centenaire. Pour le reste, c’est un croisement fortuné entre l’environnement et l’hygiène de vie. « Il faut adapter son alimentation, bouger, faire de l’exercice. L’idéal, c’est de ne jamais arrêter d’être actif », selon le Dr Poirier.