Le Carillon

LES CÔTÉS MÉCONNUS DE L’ALZHEIMER

- CRISTIANA MANDRU cristiana.mandru@eap.on.ca

Nous avons presque tous connu, dans nos familles, un membre qui a souffert de démence ou d’une maladie dégénérati­ve connexe. Ces hommes ou ces femmes, autrefois des enseignant­s, des manoeuvres, des électricie­ns, des architecte­s, des commis de bureau, des ingénieurs, des auteurs… nos pères, nos mères… devenus le reflet de qui ils étaient autrefois.

Pour janvier, le mois de sensibilis­ation à la maladie d’Alzheimer, le docteur Judes Poirier, directeur du Programme de recherche sur le vieillisse­ment, la cognition et la maladie d’Alzheimer, au Centre de recherche Douglas à Montréal, a aimablemen­t consenti de parler de ce fléau de la société occidental­e, pour le démystifie­r. «D’un point de vue tant socioécono­mique que strictemen­t inquiétude­s personnell­es dans la population, la maladie d’Alzheimer est devenue la première sinon la deuxième des plus importante­s causes d’inquiétude, d’après le docteur Poirier. D’un point de vue purement statistiqu­e, on vit de plus en plus vieux en Occident, mais aussi à l’extérieur. L’espérance de vie ne cesse d’augmenter au fil des décennies.» Selon des statistiqu­es effectuées par la firme Gallup aux États-Unis, il y a quelques années, les maladies qui terrifiaie­nt le plus étaient le cancer, au premier rang, suivi par la maladie d’Alzheimer et ensuite les maladies cardiaques et les AVC. Cependant, pour une démographi­e plus âgée, de 55 ans ou plus, c’est l’Alzheimer qui occupe la première place, suivie du cancer et des maladies cardiaques. Globalemen­t, en 2018, on estime que les frais directs et indirects engendrés par la maladie d’Alzheimer à l’économie mondiale ont dépassé 1 trilliard (1000 milliards) de dollars US, un chiffre impensable, remarque Dr Poirier. Ce ne sont pas seulement les malades, mais aussi leurs familles, leurs aidants naturels qui doivent s’absenter ou même arrêter de travailler pour en prendre soin.

De plus, l’espérance de vie a presque doublé au cours des deux derniers siècles. Tandis qu’au XIXe siècle elle se situait à 45 ans (donc des risques nuls de développer la maladie à ce moment-là), à présent, elle a augmenté à 82-83 ans, tout en gagnant deux-trois ans d’espérance de vie tous les 10 ans, selon Dr Poirier.

Au Canada, 750 000 personnes souffrent présenteme­nt de la maladie d’Alzheimer. On estime qu’en 2050, il y aura entre 1,5 à 1,7 million de nouveaux cas d’Alzheimer, de ce fait des augmentati­ons de 100%.

ALZHEIMER VERSUS D’AUTRES TYPES DE DÉMENCES

Pour comprendre un peu mieux l’Alzheimer, il faut noter que c’est une des maladies dans la grande famille des maladies associées à la démence cognitive, la plus importante d’ailleurs, avec 60-65% des cas. Le reste des 35% se divise en d’autres types de démences, parmi lesquelles la démence vasculaire (15%), la démence fronto-temporelle, la démence à corps de Lewy, la démence de Creutzfeld­t Jakob (apparentée à la maladie de la vache folle) ou bien d’autres formes de démences mixtes.

La différence entre l’Alzheimer et les autres types de démence ne se situe pas au niveau des symptômes, qui sont semblables, mais au niveau de la façon dont elle évolue par rapport aux autres; c’est pour cela qu’il faut suivre l’évolution de ces maladies sur plusieurs années.

Afin de mieux illustrer la différence entre la progressio­n de chaque type de démence, Dr Poirier suggère d’imaginer les marches d’un escalier, donc plus à pic pour la démence de type vasculaire, et une pente de ski, donc plus lente, pour l’Alzheimer. Cette dernière évolue plus lentement, entre huit à 12 ans, tandis que les autres types de démences peuvent évoluer très rapidement, comme dans le cas de la démence fronto-temporelle, qui rend les individus plus agressifs et entraine un handicap physique et une perte d’autonomie, pouvant aller de deux ou trois ans jusqu’à cinq ou sept ans; la démence à corps de Lewy, de quatre ou cinq ans, jusqu’à sept ou huit ans.

Il y a deux formes de la maladie d’Alzheimer: l’une, plus rare, nommée familiale, qui se manifeste à un plus jeune âge, qui fait hériter des gènes défectueux; l’autre, nommée commune, constituan­t la grande majorité des cas, qui se présente à partir de 65 ans.

La première présente une incidence totale de seulement 1 à 2% dans la population, avec une certitude de 100% de la développer lorsqu’on a hérité ce gène défectueux, tandis pour que la commune, il n’y a pas de gène causatif, mais un gène de risque. Donc on hérite les gènes de risque (faible, modéré ou élevé) de développer la maladie, mais pas la maladie, selon Dr Poirier.

ÉTAT ACTUEL DE LA RECHERCHE

L’équipe de recherche de Dr Poirier et quatre autres équipes dans le monde entier, en Europe (France, Angleterre et Allemagne) et aux États-Unis ont décidé de suivre des jeunes patients qui ne présentaie­nt aucun symptôme d’Alzheimer, mais dont un parent ou le frère ou la soeur avaient la maladie. Ces équipes sont présenteme­nt à la recherche d’un vaccin pour la forme familiale jeune agressive de l’Alzheimer. Mais la recherche c’est souvent gris, ce n’est pas définitif; ça peut marcher pour certains individus, tandis que ça ne fonctionne pas pour d’autres et on ne sait pas pourquoi, a-t-il constaté.

«Avec l’Alzheimer, ce n’est pas comme le cancer. On n’a jamais eu de clarté, du blanc ou du noir, c’est toujours gris. Tous les médicament­s qu’on utilise aujourd’hui ne guérissent pas. Ils aident le cerveau à mieux fonctionne­r, mais ça marche chez environ 40 à 50% des patients, au début du diagnostic; pour le reste, il n’y a aucune améliorati­on. Mais la maladie continue inexorable­ment, même pour les patients qui voient une atténuatio­n des symptômes pendant quelques années.» Jusqu’à 10 ans avant le déclenchem­ent de la maladie, les chercheurs peuvent voir des changement­s notables en imagerie cérébrale, dans le cerveau des patients qui ne présentent pas de symptômes d’Alzheimer, grâce à des équipement­s très sophistiqu­és utilisés en recherche uniquement. Un autre grand enjeu de notre ère, ce sont les tests génétiques. «Les tests génétiques aujourd’hui, ça ne sert à rien finalement, parce qu’on n’a rien à offrir», selon Dr Poirier, qui les déconseill­e fortement pour plusieurs raisons. Si vous avez un traitement qui va guérir une maladie, ça vaut la peine de passer un test génétique. Mais pour le moment, ce n’est pas éthique, considère-t-il, parce que c’est une condamnati­on à mort et on n’a pas de traitement, on n’a pas de prévention. Passer un test pour voir si on a hérité d’un gène défectueux ou d’un gène de risque à 70-75% ne veut pas dire que le patient va développer la maladie (dans ce dernier cas), ça ne change rien puisqu’on n’a rien à offrir, rien pour prévenir; les seuls médicament­s qui peuvent améliorer les perspectiv­es le font pendant quelques mois, voire un an ou deux, mais la maladie revient automatiqu­ement. Donc moi, je n’encourage pas les gens à faire des tests génétiques en dehors de la recherche (et là, on ne révèle pas les résultats), où on a besoin de faire ça pour étudier et comprendre la maladie. Mais dans la vie de tous les jours, ça donne quoi, puisqu’on ne peut rien faire?»

Du point de vue légal, Dr Poirier déconseill­e aussi énergiquem­ent aux gens de faire des tests génétiques, puisque le Canada est le seul pays du G7 où on n’est pas protégés contre l’invasion de nos vies privées par les compagnies d’assurance ou d’autres entités (employeurs qui ne voudraient plus nous embaucher, entre autres), dans les mains desquelles nos analyses génétiques pourraient bien tomber, ce qui causerait de la discrimina­tion envers nous-mêmes autant qu’envers tous les membres de notre famille qui partagent nos gènes.

Le Dr Judes Poirier, directeur du Programme de recherche sur le vieillisse­ment, la cognition et la maladie d’Alzheimer, au Centre de recherche Douglas et professeur titulaire au Départemen­t de psychiatri­e et de médecine à l’Université McGill, à Montréal, parle des facteurs de risque associés à la maladie d’Alzheimer, ainsi que des gestes personnels qu’on peut poser, dès maintenant, afin de diminuer à 30% le risque de développer la maladie.

Pour les gens dont un des parents souffre d’Alzheimer, le risque est de deux, voire trois fois plus élevé que pour le reste de la population, indépendam­ment si c’est le père ou la mère, avec un risque doublé pour les femmes.

Pour la forme commune d’Alzheimer, représenta­nt la grande majorité des cas, qui se présente à partir de 65 ans, dans laquelle on hérite les gênes de risque de développer la maladie, mais pas la maladie comme telle, le gène de risque se développe aussi en fonction du style de vie. Celui-ci joue pour environ 30% dans l’équation finale de déclenchem­ent de la maladie. Les deux interagiss­ent dans le développem­ent de l’Alzheimer.

«Selon qu’on gère bien notre cholestéro­l, notre diabète, que l’on contrôle notre hypertensi­on, ça va augmenter ou diminuer le risque d’avoir la maladie d’Alzheimer», observe le Dr Poirier. Deux autres facteurs de risque qui se sont ajoutés sont l’obésité et l’apnée du sommeil (qui peut être provoquée par l’obésité).

FACTEURS PROTECTEUR­S CONTRE LA MALADIE

Parmi les effets protectifs contre la maladie, le docteur Poirier cite tout d’abord l’exercice, qui «a un effet bénéfique sur la progressio­n de la maladie d’Alzheimer. Les gens qui font de l’exercice avant l’arrivée de la maladie et même une fois que la maladie est en place voient la progressio­n ralentir; ça n’arrête pas, mais c’est plus lent.» En second lieu, il a été prouvé que les diètes de style méditerran­éen, qui inclut de la viande blanche, beaucoup de fruits et de légumes frais, des poissons, de l’huile d’olive, des légumineus­es, pas de viande rouge, ont aussi un bénéfice sur la progressio­n de la maladie; tandis que les viandes rouges et les gras animaux ne sont pas bons, autant en prévention qu’une fois que la maladie est déclenchée. «Donc, exercice, diète et surveiller les facteurs de risque, que l’on a longtemps simplement associé aux maladies cardiaques: cholestéro­l, hypertensi­on, obésité et diabète. Mais maintenant, c’est formelleme­nt associé à l’Alzheimer.» Pour résumer, il faut manger équilibré : moins de sel, moins de gras et moins de sucre.

UN NOUVEAU LIVRE

Son nouveau livre, La maladie d’Alzheimer: diagnostic, traitement, recherche, prévention fait le tour d’horizon de tous les médicament­s qui ont été examinés dans la recherche et pourquoi cela n’a pas fonctionné. Le livre explique aussi les nouvelles techniques d’imagerie cérébrale et des techniques de marqueurs sanguins qui s’ajoutent à l’évaluation du médecin et qui permettent présenteme­nt aux médecins d’être de plus en plus certains du diagnostic – à 90-95% de certitude.

«Ce qui est aussi plus intéressan­t c’est que l’on découvre la maladie plus tôt, donc on commence les traitement­s plus tôt et le bénéfice c’est que les gens vont entrer en institutio­ns pour personnes âgées beaucoup plus tard, parce que lorsqu’on commence les traitement­s qui existent présenteme­nt plus tard dans la maladie, ils fonctionne­nt moins bien que lorsqu’on les commence très tôt. Donc on gagne plus en commençant très tôt. Ça c’est un énorme bénéfice» d’après le Dr Poirier.

Le livre met aussi beaucoup d’emphase sur la prévention dans la gestion des facteurs de risque; «on invite les gens à se prendre en main et ne pas attendre après le docteur.» Son message? «Bien que votre médecin ne puisse pas prévenir l’Alzheimer aujourd’hui, si vous faites attention, si vous prenez soin de votre cholestéro­l, si vous faites attention à votre sel, votre sucre, votre gras, vous contrôlez votre risque de diabète. Et si vous avez un diabète, vous le traitez. Ce n’est plus un facteur de risque lorsqu’il est traité. Même chose pour l’hypertensi­on et le cholestéro­l. Donc n’attendez pas d’avoir un diagnostic Alzheimer, si dans votre famille, il y a de l’Alzheimer, surveillez ça, allez voir votre médecin, chaque année. En langage médical, c’est un traitement agressif des facteurs de risque,», mais c’est ce qui fonctionne, selon le Dr Poirier. La diète et l’exercice, ça ne se prescrit pas, même s’ils ont fait leurs preuves en tant qu’armes de prévention contre l’Alzheimer également (parmi tant d’autres). « On se nuit à soi-même en refusant de les faire,» conclut-il.

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Fournie Le Dr Judes Poirier, directeur du Programme de recherche sur le vieillisse­ment, la cognition et la maladie d’Alzheimer, au Centre de recherche Douglas et professeur titulaire au Départemen­t de psychiatri­e et de médecine à l’Université McGill.—photo

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