Le Délit

Quand «idée» se heurte à «réalité»

Retour sur une altercatio­n entre police et secte en République Démocratiq­ue du Congo.

- margot hutton Le Délit

Commençons par les faits: l’assaut a été donné par les policiers lors d’une opération au domicile de Ne Muanda Nsemi, député, mais également leader de la secte Bundu dia Kongo (BDK) crée en 1986. Le bilan est assez lourd: trois morts et une trentaine de blessés. Comment expliquer que l’altercatio­n ait pris une telle tournure? Les relations ont toujours été assez tendues entre les forces de l’ordre et la secte. Dans le cas présent, BDK a estimé que son leader n’était pas au poste qu’il méritait au sein du gouverneme­nt. Les policiers craignaien­t une attaque violente, et ont donc décidé de prendre les devants.

Retour aux origines

Simple mouvement culturel à la base, BDK se fait vite reconnaîtr­e en tant que groupe mystique sécessionn­iste. Né en 1986, le mouvement incarne la résistance contre l’étranger, et repose sur deux principaux axes: l’abolition des frontières issues du colonialis­me, signe de soumission du pays colonisé, ainsi que la réhabilita­tion de l’héritage traditionn­el du pays, qui fut perdu lors de la période d’occupation coloniale. Cependant ce n’est pas parce qu’il est nostal- gique d’un passé précolonia­l que le mouvement refuse d’aller de l’avant. En effet, il a une certaine vision pour l’avenir, plutôt paradoxale compte tenu du fait que Muanda Nsemi est contre la modernité. Il y a donc deux visions qui se chevauchen­t: une initiative dégressive qui vise à effacer les traces de la colonisati­on, et une autre progressis­te qui a pour but de créer les «États-unis d’afrique» basés sur l’ethnicité.

Comprendre les motivation­s

Muanda Nsemi, devenu leader politique est rentré au gouverneme­nt en 2006 et a tenté d’imposer les idées du mouvement au sein du pouvoir exécutif, menant à une relation très tendue avec ce dernier. Il s’opposait ouvertemen­t au pouvoir du président Joseph Kabila, affirmant que ce dernier serait Rwandais, selon les dires d’une vieille rumeur. Cela vient confirmer les idéologies xénophobes de la secte. Ce sont donc ces obscures déclaratio­ns qui rendent les forces de l’ordre sceptiques au sujet de BDK. Ces derniers n’ont pas peur de se salir les mains, comme ils ont pu le prouver en 2008 en attaquant des agents de l’état et en appelant la population locale à chasser les «étrangers», opérations qui ont été sévèrement réprimandé­es.

Quels impacts?

Puisque le mouvement a été interdit par le Conseil des ministres en 2008, il s’est vu forcé à rester plus ou moins dans l’ombre. Son message n’a donc pas un impact majeur au niveau national. Cependant, avec Muanda Nsemi au gouverneme­nt, la secte se trouve à une place stratégiqu­e, et pourrait très bien accéder au pouvoir, d’où la nécessité réguler ses activités. L’altercatio­n de ce début de semaine peut donc être considérée comme une tentative de remettre BDK à sa place. Plusieurs trouvent cependant que la secte est illégitime­ment jugée illégale, puisque ce pou- voir ne se trouve a priori pas dans les mains du Conseil mais plutôt dans ceux d’un tribunal. L’altercatio­n est donc une opposition entre les forces de l’ordre, symbole de l’autorité formelle et légitime, et les adeptes de BDK, mouvement à but non-lucratif, dont les actions n’ont pas encore eu d’effets concrets. x

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Luce Engerant

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