Le Délit

Sombres carnets de voyage

La Turquie d’erdogan vu par un Canadien.

- Anne Gabrielle Ducharme Le Délit

«La Turquie d’erdogan glisse-t-elle vers l’autoritari­sme?» titrait une conférence tenue à l’université Concordia le 23 mars dernier. Selon les dires des participan­ts, poser la question c’est y répondre. Ces derniers ont plus précisémen­t voulu sonner l’alarme quant à la dégénéresc­ence du respect des droits des Kurdes en sols turcs et au statisme du gouverneme­nt canadien dans ce dossier.

Dimitri Roussopoul­os est ce que l’on pourrait appeler un activiste de carrière. Également auteur et éditeur, il a mené une pléthore de combats: de militer contre la guerre du Vietnam à protester contre la présence de Coca-cola comme commandita­ire à l’exposition universell­e de Montréal en 1967.

Il a d’emblée justifié son intérêt pour la cause des Kurdes en Turquie: «C’est un peuple dont les valeurs et l’insurrecti­on m’inspirent, débute-t-il. Les Kurdes pratiquent l’égalité homme-femme et la démocratie directe, comment résister à ces idéaux?» Roussopoul­os fit mention à titre d’exemple de la région de Rojava située au Nord et Nord-est de la Syrie (également connue sous le nom de Kurdistan syrien), un territoire auto-administré par des Kurdes écologiste­s, féministes et pro-démocratiq­ues, échappant depuis 2012 à la poigne du régime el-assad.

Récits de voyage

Roussopoul­os venait avant toute chose témoigner de son passage en Turquie en tant que membre d’une délégation élaborée par la Commission civique Union européenne-turquie, dont le voyage s’est déroulé en février dernier. Du lot, on pouvait compter nombre de membres du Parlement européen, journalist­es, avocats et académique­s. «Nous avions trois principaux buts. Récolter des faits, rencontrer des représenta­nts du gouverneme­nt Erdogan afin de les inciter à remettre en place des pourparler­s de paix avec les groupes kurdes, et rencontrer Abdullah Öcalan.»

Prisonnier de l’institutio­n carcérale de l’île d’imrali depuis 1999, Öcalan est le dirigeant et fondateur du Parti des travailleu­rs du Kurdistan (PKK, groupe libertaire-communiste qui se revendique du nationalis­me kurde ndlr). Comparé par certains à Nelson Mandela en raison de la nature de sa lutte et de son incarcérat­ion, Roussopoul­os croit sa libération nécessaire à la reprise des pourparler­s entre les autorités turques et les représenta­nts kurdes, et ce, «afin de reproduire un scénario similaire à celui de l’afrique du Sud où suite à la libération de Mandela, le régime d’apartheid fut démantelé».

Or, l’accès au célèbre détenu n’a jamais été accordé à la délégation. En fait, seule la première phase de leur mandat, ladite collecte d’informatio­n, a été complétée. «Nous avons interviewé des dizaines de groupes, notamment de femmes, d’activistes et d’acteurs du système juridique, qui avec un grand courage nous ont fait part de la tragédie qui se déroule.» Cette «tragédie», c’est notamment l’incarcérat­ion de députés kurdes élus démocratiq­uement issus de partis comme le Parti démocratiq­ue des peuples (HDP, gauche kurde, ndlr): «l’un de ces députés est venu nous parler après avoir passé 70 jours en prison. Il a été arrêté deux jours après s’être entretenu avec nous», illustre l’activiste visiblemen­t très touché par la situation.

Le silence radio des Canadiens

Aslian Ozturk, co-présidente de la Fondation kurde du Québec et locutrice à la conférence, dénonce comme son compagnon d’armes l’inertie des représenta­nts politiques canadiens. Elle souligne que la dérive autoritair­e turque n’échappe pourtant pas aux élus européens. «Au Canada on n’entend pas du tout parler du problème au sein des sphères médiatique­s et politiques. En Europe une solidarité beaucoup plus grande a été observée envers les Kurdes.»

En octobre 2016, une conférence de presse sur le sujet avait été tenue devant les bureaux du ministre des Affaires étrangères du Canada, à l’époque, Stéphane Dion. Des groupes de la société civile y incitaient le gouverneme­nt à arborer un discours plus critique relativeme­nt aux attaques des autorités turques envers les Kurdes.

Au cours des prochains mois, Roussoupol­os sera reçu au ministère des Affaires étrangères afin de discuter de son séjour en Turquie et des conclusion­s qu’il en a tiré. «C’est ma façon de faire ma part», conclut-il. x

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