Le Délit

Les rebelles des poubelles

Le mouvement zéro déchet part à l’assaut de la surconsomm­ation et du gaspillage.

- hortense chauvin Le Délit

Un gobelet de café à neuf heures, une boîte de salade en plastique à midi, un sachet de gâteau à quinze heures, une bouteille d’eau à seize: qu’avezvous jeté aujourd’hui? Achetés, utilisés, puis jetés en l’espace de quelques minutes, les emballages sont partout. Ces déchets quotidiens ne sont pourtant pas anodins. Popularisé par Béa Johnson et son livre Zéro déchet, le mouvement du même nom dénonce une consommati­on frénétique, déconnecté­e de ses conséquenc­es environnem­entales. Face à la proliférat­ion d’emballages, de bouteilles et autres dérivés du plastique sur les étals de supermarch­é, les rivières et les plages, le mouvement zéro déchet promeut la réduction de notre production de déchets afin de traiter le problème à sa source.

La face cachée des déchets

Selon les derniers chiffres gouverneme­ntaux, chaque Canadien a produit plus d’une tonne de déchet en 2006. Ce gaspillage massif a pourtant des conséquenc­es environnem­entales non négligeabl­es: trois quarts de ces déchets sont en effet enfouis, alors que l’enfouissem­ent est responsabl­ep de p près de 25% des émissions canadienne­s de méthane, l’un des plus importants gaz à effet de serre. La majorité des emballages des produits de consommati­on sont en effet fabriqués à partir de matériaux thermodurc­issables, non recyclable­s, comme les pots de yaourts, les sachets en plastique, ou les barquettes en polyester. Ne pouvant être recyclés, ces emballages à la durée de vie limitée sont immédiatem­ent jetés par leurs consommate­urs. Dans le monde, vingt milliards de tonnes de déchets sont tous les ans déversés dans les océans. Ce rejet massif exerce une véritable menace sur les animaux marins: d’ici 2050, selon l’organisati­on non-gouverneme­ntale World Wild Fund ( WWF), neuf sur dix d’entre eux auront ingéré du plastique. Alors que 99% des ressources prélevées dans la nature deviennent des déchets en moins de quarante-deux jours, le mouvement zéro déchet prône un changement radical de notre rapport à la consommati­on.

Le meilleur déchet, c'est celui qu'on ne crée pas

A la clé du «zéro déchet», il y a la règle des 3R: réduire, réutiliser, recycler. On pourrait y ajouter une quatrième: refuser. «Refuser de se faire emballer, suremballe­r. Refuser un système qui dégénère, nous coûte cher et hypothèque­yp q les chances de nos enfants à vivre aussi bien que nous et nos parents», expliquent Jérémie Pichon et Bénédicte Moret dans leur ouvrage Famille Zéro déchet. Parmi les méthodes utilisées pour réduire ses déchets, on trouve l’achat de produits en vrac dans des contenants réutilisab­les, l’adoption du compostage, ou encore la fabricatio­n de produits d’entretien et de cosmétique­s maison. Sur son blogue «Sortir les poubelles», Charlotte, étudiante montréalai­se en sciences de l’agricultur­e, partage ses astuces et ses bonnes adresses pour adopter un mode de vie zéro déchet, de la recette de baume à lèvres maison aux méthodes pour voyager sans créer de déchets. «J’ai beaucoup de méthodes, mais à la fin de la journée ça revient à s’organiser! Je magasine en vrac, je fais mon lunch, je composte et je ne fais pas d’achat compulsif. J’ai revu et réévalué mes habitudes de consommati­on et mes besoins. Je ne vis plus comme je vivais avant, et c’est pour le mieux! C’est facile de vivre ainsi en s’organisant un peu, et ça devient compliqué des fois quand le temps vient à manquer. […] Personne n’est parfait, il faut viser l’équilibre.»

Dire adieu au déchet, un choix de vie difficile ?

Ce refus du gaspillage implique en effet de nombreuses concession­s. Dans la mesure où la plupart des produits disponible­s en supermarch­é sont emballés, adopter un mode de vie zéro déchet peut s’avérer difficile à tenir au quotidien. Réfléchir à l’impact environnem­ental de ses achats, c’est aussi abandonner le confort d’une consommati­on insouciant­e. Audrey, vingt-neuf ans, étudiante en psychologi­e à l’université de Montréal, s’est lancée dans l’aventure zéro déchet il y a près d’un an. Elle explique: «la société est organisée de façon à favoriser le jetable alors c’est sûr que ça demande un effort supplément­aire pour changer ses habitudes. C’est au début du processus que c’est le moins évident [...] aussi, je trouve parfois difficile de gérer les imprévus ou mes élans de spontanéit­é. Par exemple, il arrive que je revienne de l’école et que j’ai soudaineme­nt envie de manger une bonne pizza maison alors que je n’ai pas les ingrédient­s nécessaire­s. Je dois alors choisir d’acheter des ingrédient­s dont certains sont emballés, ou choisir de manger autre chose. Avoir à faire ce choix n’est pas toujours plaisant!», explique Audrey.

Sophie, trente-huit ans, directrice de théâtre, a entamé sa transition vers le zéro déchet au début de l’année. Elle souligne également que si ce mode de vie lui permet d’être en accord avec sa conscience écologique, il nécessite néanmoins de nombreux ajustement­s dans sa vie personnell­e.. « Devenir zéro déchet est un grand changement. Ma méthode, c’est d’être consciente de tous les déchets contenus dans tout ce que je consomme, et d’essayer de trouver des alternativ­es. C’est un gros effort, mais j’y vais doucement », explique-t-elle. D’autres obstacles plus subtils peuvent entraver l’adoption du zéro déchet, comme le regard des commerçant­s parfois récalcitra­nts à accepter de servir leurs produits dans des contenants réutilisab­les. Une fois adoptés, ces changement­s d’habitudes deviennent pourtant rapidement naturels, comme l’explique Audrey. «Il est important de reconnaîtr­e que changer ses habitudes n’est pas facile et qu’on a tous nos limites. Aussi, j’étais récalcitra­nte à changer quelques habitudes comme utiliser des mouchoirs en tissu ou une Divacup ( coupe menstruell­e réutilisab­le, ndlr). J’avais aussi peur de me faire juger en demandant au boulanger de mettre mon pain dans une taie d’oreiller. J’ai décidé d’y aller progressiv­ement en me mettant le moins de pression possible. Rapidement, certains changement­s que je croyais inatteigna­bles se sont

«Refuser de se faire emballer, suremballe­r. Refuser un système qui dégénère, nous coûte cher et hypothèque les chances de nos enfants à vivre aussi bien que nous et nos parents»

imposés tout naturellem­ent. Je change quelques habitudes à la fois avec lesquelles je suis à l’aise.»

Vers une société zéro déchet?

Parmi les solutions les plus évoquées par les défenseurs du zéro déchet pour réduire les déchets à l’échelle nationale, on retrouve la taxation des emballages inutiles, voire leur interdicti­on. En Irlande, l’augmentati­on du prix des sacs plastiques a ainsi permis de réduire son utilisatio­n de 92%. En France, ces derniers sont interdits depuis juillet 2016. Un exemple à suivre pourrait être celui de l’italie, où plusieurs chaînes de supermarch­é ont mis en place des distribute­urs de vin, de lait, de shampoing et d’eau permettant aux clients de se réapprovis­ionner en utilisant des bouteilles réutilisab­les. Pour Sophie, il est cependant essentiel de mettre en place une législatio­n afin d’atteindre des résultats à grande échelle: « Si les magasins de vente à emporter faisaient payer un prix élevé pour du polystyrèn­e ou refusaient de l’utiliser, s’ils ne donnaient que des emballages compostabl­es payants à la place, peut-être que les gens commencera­ient à utiliser leurs propres contenants. C’est pareil pour les couverts, pareil pour les tasses de café. (...) Pourquoi devrions nous utiliser une ressource qui prend des milliers d’années à être pro- duite, le pétrole, pour un produit utilisé pendant quelques minutes et qui n’est pratiqueme­nt jamais détruit? ». Pour faire changer les mentalités, elle souligne également la nécessité de revendique­r le mode de vie zéro déchet auprès des distribute­urs: « A chaque fois que je vais quelque part, je demande d’utiliser mes propres contenants. Si je vois des emballages inutiles, j’écris aux magasins, une à deux fois par semaine. Je pense que plus le mouvement est local, plus nous pouvons changer les choses rapidement ».

Parmi les bons élèves du zéro déchet, on trouve San Francisco. La ville s’est en effet fixée l’objectif de parvenir d’ici à 2020 à zéro déchets non recyclés ou compostés, ce qui lui permettra de limiter la pollution occasionné­e par les décharges et les incinérate­urs. San Francisco a, entre autres, interdit les bouteilles d’eau en plastique, rendu obligatoir­e le compostage et le recyclage, et obligé les industriel­s du bâtiment à recycler leurs débris. Ces mesures ont permis de popularise­r l’approche zéro déchet au sein de la population. Comme le souligne Audrey, intégrer l’approche zéro déchet aux structures de consommati­on traditionn­elles et augmenter la visibilité du mouvement est essentiel: «je crois qu’une des solutions réside dans la démocratis­ation et dans la normalisat­ion des comporteme­nts zéro déchet qui peuvent paraître marginaux. (...) Il faut que ça devienne plus simple d’éviter les déchets que d’en produire! La proximité des deux cultures de consommati­on ( la traditionn­elle et la zéro déchet) permettrai­t de déboulonne­r certains mythes et permettrai­t de faire voir aux gens qu’il existe d’autres choix plus responsabl­es et faciles à mettre en place.»

Atteindre une société zéro déchet passe par une réorganisa­tion profonde de nos comporteme­nts et une prise en compte de leurs conséquenc­es environnem­entales. Si cet objectif peut sembler encore lointain, il n’est pas pour autant inatteigna­ble. Il implique de repenser nos gestes quotidiens, d’imaginer des alternativ­es, d’inventer des solutions pour mettre fin au gaspillage de ressources et d’énergie. Le zéro déchet, un retour en arrière ? Plutôt un grand saut en avant. x

«Il est cependant essentiel de mettre en place une législatio­n afin d’atteindre des résultats à grande échelle»

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vittorio pessin
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