Le Délit

Un deuxième souhait

Épilogue à L’étranger de Camus.

- Mackenzie J. Bleho

J’ai fermé mes yeux, essayant d’imaginer ces gens. La foule, rancunière et sanguinair­e. Ma mort serait un spectacle pour eux, un festin, et je n’y serais qu’un accessoire. L’origine et non la fin. Les gens aiment voir la mort et, dans ce cas-ci, il serait question de la mienne. Peu importe.

Je me figurais les visages qui se trouveraie­nt en avant, les braves qui pourraient assumer leur morbidité, qui oseraient frôler la mort de près, recevoir des gouttelett­es de sang à la figure, entendre le son qui crisserait tout doucement lorsque ma tête tomberait dans le panier d’osier, yeux ouverts ou peut-être fermés. Marie y serait probableme­nt, avec son nouveau Meursault et sa robe à raies rouges et blanches. Elle ne pourrait pas supporter le spectacle, elle se plongerait le visage dans la poitrine de cet homme, qui la tiendrait par ses cheveux salés et qui détournera­it son regard, lui aussi. L’aumônier viendrait, peut-être, cherchant l’absolution. Je ne savais pas s’il s’agirait de la mienne ou de la sienne.

Peu importe, il n’y trouverait qu’un crâne séparé de son corps mais encore vêtu de chair, sourd et muet, reposant dans un panier qui pourrait servir à mille autres choses. Il partirait encore en pleurant, le col de sa soutane toujours froissée par l’action de mes mains. Ou peut-être pas, s’ils me feraient attendre longtemps. Raymond n’y serait probableme­nt pas ; il manque de femmes à de tels spectacles. Masson non plus ; nous ne nous connaissio­ns guère. Sûrement pas le vieux Salamano, mais peut-être des chiens, errants, qui se trouvent souvent rassemblés dans de tels endroits simplement pour leur apport symbolique.

Je pensais que j’aurais aimé y voir Céleste, mais finalement, ça m’était égal, la foule. Tant que les cris de haine seraient lancés, je me moquais des lanceurs. Visages connus ou étrangers, il s’agirait de mes frères et de mes soeurs. Un grand rassemblem­ent familial n’est rien sans ses absents. Cependant, je me suis rendu compte, en considéran­t cette foule, qu’il y avait une absence qui m’atteindrai­t. L’origine causale de ma perte, qui était aussi coupable que moi dans cette affaire, devrait se présenter le jour de cet aboutissem­ent. C’était nécessaire, essentiel. C’était insignifia­nt. Il pourrait ou ne pourrait pas se montrer ce jour, s’offrir comme dernière vision de ce monde que je devrais quitter. Il n’y avait que son absence qui pourrait gâcher le spectacle pour moi, sa vedette.

Mon premier souhait: les cris de haine de la foule. Un deuxième: que je meure un jour ensoleillé. x

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Capucine Lorber Le Délit

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