Le Délit

Dans la peau d’un végétarien

Après s’être penché sur les conséquenc­es environnem­entales de l’industrie de la viande, Le Délit continue sa série spéciale sur le végétarism­e en explorant sa portée sociale.

- Grégoire collet Le Délit

Tous les Noëls sont servis sur la table de mon salon un chaperon, du foie gras et du saumon fumé. Cette année, on m’avait réservé pour la première fois une assiette de champignon­s sautés et quelques commentair­es. «Tu es sûr que tu n’en veux pas?», «C’est une phase», «Il faut que l’on devienne végétarien­s nous aussi?» Face à ce genre de commentair­es, ma première envie est de répondre et de dire que je ne suis pas l’adolescent idéaliste qu’on me croit être. Partager ce que j’ai vu, ce que j’ai lu, ce qui m’a convaincu. Ma seconde envie est de me taire, de ne pas déclencher un énième débat sans fin. J’obéis à cette dernière, aussi frustrante qu’elle soit. Lorsqu’on insiste pour que je goûte à un bout de viande, je sens des regards insistants. «Mince. Il a changé».

Les tensions que cette question crée dans ma famille n’ont pas l’air d’être dues à du mépris pour ma décision, mais plutôt à une incompréhe­nsion et une inquiétude. «Le véganisme n’est plus qu’à quelques pas. Il ne peut plus rien manger maintenant. C’est très courant chez les étudiants en même temps». La nourriture occupant une place très importante dans les repas familiaux, j’ai l’impression d’imposer une politique de grands travaux à chaque repas. On ne manque pas de me faire remarquer l’effort important qu’est de me préparer un repas «sans viande, sans poisson». Mon végétarism­e a fait sourciller et a pu être sujet de blagues. Tout en étant persuadé d’adopter un comporteme­nt sain et moral, j’ai dû considérer l’étendue sociale de mon choix.

Un dialogue difficile

Nous pouvons tous peser l’impact social de la nourriture, et l’inconscien­t qui y est attaché. Manger est une façon de partager, d’apprendre à connaître et de tirer des conclusion­s faciles sur notre entourage. On associe certains aliments à des comporteme­nts et des buts différents. Une personne qui mange une salade à chaque repas sera vue comme quelqu’un qui fait attention à sa santé ou son poids, alors qu’un comporteme­nt contraire peut donner l’impression d’une indifféren­ce vis- à-vis de ces questions. De la même manière que s’asseoir et partager un repas rassemble, avoir un invité qui ne mangera pas comme les autres peut diviser la tablée. Aussi absurde que cela puisse paraître, avoir sa propre assiette, ne pas pouvoir prendre part à la dégustatio­n qui se passe peut créer une forme d’isolement passager que l’on apprend à intégrer. Être végétarien est un choix, et ce choix fait parti de mon quotidien, ainsi il me paraît dérisoire de le remettre en question. Être confronté à l’ampleur que cette décision incarne pour certains, rend pourtant évidente l’existence d’un décalage. Dans le milieu étudiant, beaucoup d’entre nous sont végétarien­s. Cependant, selon la société canadienne de pédiatrie, seulement 4% des adultes au Canada ne mangent pas de viande. D’où la nécessité presque systématiq­ue de dialoguer.

Je ne me suis jamais reconnu dans le stéréotype du végétarien en colère qui viendrait donner des leçons à son entourage. Les réactions auxquelles je fais parfois face m’évoquent une forme d’animosité, comme un instinct protecteur. Il est arrivé qu’on anticipe directemen­t mes paroles, comme pour me faire perdre de la crédibilit­é en disant: «Ah! Moi j’adore un bon steak», «Je ne sais pas comment tu fais». Le fait est que généraleme­nt, j’ai seulement dit que je m’en tiendrais à de la salade. C’est le fait qu’on soit désarçonné qui m’interroge. Pourquoi tout d’un coup être sur la défensive alors que le sujet peut glisser pour revenir à une conversati­on moins gênante?

Ce comporteme­nt peut s’expliquer par une tendance à prêter à une personne les discours d’une cause entière. Le végétarien est souvent vu comme infatigabl­e, irritable ou irrité. Quand certains commencent un débat que je n’ai pas demandé, cette attitude est une façon de se protéger d’un possible jugement moral. Me lancer dans un plaidoyer à chaque repas ne m’intéresse pas, car bien souvent, lorsqu’une personne mange de la viande sous mes yeux, ce n’est pas le moment le plus propice pour lui dire « ne fais pas ça, ce n’est pas bon ni pour l’environnem­ent, ni pour les animaux, ni pour toi » . Le végétarism­e peut être autant une question de pragmatism­e que de sensibilit­é vis- à-vis de la souffrance animale. La question ne se règle pas par une simple conversati­on intéressée.

Mes premiers jours en tant que végétarien étaient marqués par un militantis­me bien plus marqué que maintenant. Me justifier m’était nécessaire, comme pour me convaincre que je prenais la bonne décision. L’adolescent idéaliste s’épanouissa­it, ce qui rendait la confrontat­ion avec ma famille peu détendue. Ensuite, l’urgence de l’intégratio­n de l’arrivée à l’université a atténué mon activisme. Ce sujet refroidit souvent. Quand la discussion s’orientait vers ce thème, j’ajoutais un bref mais clair «Je ne suis pas le végétarien excité, ne t’inquiète pas». Une manière sûrement de dissiper les a priori. Un an plus tard, je ne sais toujours pas quelle est la bonne manière d’en parler, de faire bouger les mentalités sans agacer. L’impression que je ne peux pas me désolidari­ser de la personne que j’étais il y a un an, alors que je mangeais encore de la viande en quantité et utilisais des arguments comme «mais c’est bon quand même», peut me faire perdre pied.

Être végétarien suscite chez moi une certaine fierté, celle de se sentir en accord avec ses idéaux. Il est toujours étonnant de voir des réactions contredire ce sentiment. Encore aujourd’hui, je ne connais pas la solution et mes relations étant plutôt établies, les remarques se font rares. J’ai espoir que les mentalités changeront. Cependant, chaque combat prend du temps, et comme ma prise de conscience en a pris, je ne peux pas attendre des autres qu’ils adoptent mon comporteme­nt instantané­ment. Ma frustratio­n découle de l’impossibil­ité presque systématiq­ue de communique­r efficaceme­nt, et j’en suis moi- même fautif. Je voudrais partager mes idées et trouver un moyen d’affronter les plus sceptiques. Ce combat est le mien, mais aussi celui de la personne qui a de la compassion et de l’intérêt pour son environnem­ent. C’est bien là- dedans que je puise mon espoir. x

« Le végétarien est souvent vu comme infatigabl­e, irritable ou irrité » « Ma frustratio­n découle de l’impossibil­ité presque systématiq­ue de communique­r efficaceme­nt, et j’en suis moi-même fautif »

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abigail drach

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