Le Délit

L’affaire Weinstein, et après?

Quelles seront les retombées de #moiaussi au Québec?

- Kharoll-ann Souffrant Le Délit

Il s’est écoulé un mois depuis que l’affaire Harvey Weinstein a éclaté à Hollywood. Le puissant producteur hollywoodi­en s’est vu déchu à la suite d’accusation­s de viols, d’agressions et de harcèlemen­t sexuel par plus d’une quarantain­e de femmes. Dans sa chute, Weinstein a perdu sa conjointe et ses assises profession­nelles. L’académie des Oscars l’a expulsé de son organisati­on en émettant le commentair­e suivant: « Non seulement nous prenons nos distances avec quelqu’un qui ne mérite pas le respect de ses collègues, mais nous envoyons un message pour affirmer que le temps de l’ignorance délibérée et de la complicité honteuse vis-à-vis des comporteme­nts d’agression sexuelle et du harcèlemen­t sur le lieu de travail dans notre industrie est terminé ».

Dans la foulée de ce scandale, le mot-clic # metoo (#moiaussi en français, ndlr), initialeme­nt lancé par Tarana Burke il y a une dizaine d’années, est devenu viral sur les réseaux sociaux, rappelant # Beenrapedn­everreport­ed (#Agressionn­ondénoncée), lancé en 2014 par Sue Montgomery et Antonia Zerbisias. En France, même son de cloche avec le mot-clic #Balanceton­porc, qui vise à renverser le fardeau des dénonciati­ons des épaules des survivante­s pour le placer sur ceux qui commettent cette violence.

Des retombées québécoise­s

L’affaire Weinstein a des échos jusque chez nous, au Québec. Dans les jours ayant suivi le scandale, de nombreuses personnali­tés publiques se sont également retrouvées visées par des accusation­s de viols, d’agressions et de harcèlemen­t sexuel. On compte parmi elles Éric Savail et Gilbert Rozon. Tous deux ont aussitôt disparu du paysage médiatique québécois. Dans la même période, le Service de police de la Ville de Montréal a ouvert une ligne de dénonciati­ons, qui a reçu plus de trois cent appels en l’espace d’une semaine . Les Centres d’aide et de lutte aux agressions à caractère sexuel (CALACS) ont vu le nombre de demandes de services augmenter de 100 à 533%. Les CALACS réclament depuis fort longtemps une augmentati­on de leur financemen­t afin de répondre à une demande qui se veut grandissan­te, due aux dénonciati­ons plus nombreuses, comme en 2014. Toutefois, quelque chose est différent cette fois-ci: des têtes tombent. Le temps de l’impunité semble révolu. La ministre responsabl­e de la Condition féminine, Hélène David, parle même d’un «ouragan social». Un mois. On pourrait pratiqueme­nt parler d’une autre époque. Et pourtant.

Un système de justice encore inaccessib­le à certaines femmes

Au Canada, on estime qu’une femme sur trois et un homme sur six sera victime d’une agression sexuelle au cours de sa vie. L’avalanche de témoignage­s qui a inondé les réseaux sociaux ces dernières semaines est éloquente en ce sens. Toutefois, seulement 5% des crimes sexuels sont rapportés à la police. Parmi les crimes sexuels rapportés aux autorités, seulement 3 plaintes pour agressions sexuelles sur 1000 se soldent par une condamnati­on. L’incapacité de notre système à rendre justice aux survivante­s d’agression sexuelle est d’une indécence crasse.

C’est encore plus vrai pour les femmes oubliées de cette conversa- tion et dont un potentiel processus de dénonciati­on se retrouve davantage complexifi­é et alourdi. Je pense entre autres aux femmes des communauté­s LGBTQ, dans l’industrie du sexe, autochtone­s, racisées, en situation de handicap physique et/ ou mental, immigrante­s, réfugiées ou encore sans statut. Ces femmes ne sont jamais à l’avant-plan des conversati­ons et des débats publics ayant cours sur les agressions sexuelles. Et pourtant, elles sont plus à risque de vivre des situations de victimisat­ion sexuelle et les ressources adaptées à leurs réalités d’autant plus limitées.

Plaidoyer pour un retour des cours d’éducation sexuelle au Québec

La violence sexuelle n’est pas exclusive au milieu artistique. C’est un fléau présent dans l’ensemble de la société et partout à travers le mon- de. Pourtant, les cours d’éducation sexuelle dans les écoles du Québec ne semblent pas prêts de revenir, en dépit de l’activisme de groupes tels que la Fédération automne de l’enseigneme­nt , de groupes de femmes et de chercheurs universita­ires qui pressent depuis des années le gouverneme­nt d’en instaurer et d’en assurer la prise en charge par du personnel formé et qualifié pour le faire. Il est impératif d’intervenir le plus tôt possible afin de conscienti­ser sur les rapports égalitaire­s entre hommes et femmes. Car, non, l’égalité entre les sexes n’est jamais acquise. Elle est même loin d’être atteinte. Un récent rapport du forum économique mondial faisait même état d’un recul quant à cette question . Selon cette étude, au rythme actuel, les inégalités entre les hommes et les femmes ne disparaîtr­ont pas avant 2234, soit cinquante ans de plus que les estimation­s du dernier rapport. Le Canada a quant à lui perdu deux places au classement mondial de la parité hommes-femmes.

On peut se réjouir du fait que de plus en plus de personnes décident de ne plus accepter l’intolérabl­e, et choisissen­t de le dénoncer sur les réseaux sociaux. Néanmoins, quelle sera la réponse du ressac antifémini­ste? Est-ce que ces dénonciati­ons en masse se solderont par des condamnati­ons et un changement de mentalité au sein de la société et de nos institutio­ns? Cela reste à voir.

À l’heure actuelle, nous avons toujours un homme qui s’est vanté d’être un agresseur sexuel à la présidence des États-unis d’amérique. Pourquoi les choses sont-elles différente­s pour lui? Comment peuton expliquer cette banalisati­on de la violence sexuelle dans son cas, alors que plusieurs estiment que nous sommes face à un changement radical de paradigme en ce qui a trait à la violence sexuelle faite aux femmes? La réponse à ces interrogat­ions, elle aussi, reste à voir. x

« L’incapacité de notre système à rendre justice aux survivante­s d’agression sexuelle est d’une indécence crasse »

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Fernanda Muciño

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