Le Délit

Warda, de Québec à Babylone

Le Théâtre Prospero vous propose la Mille-deuxième Nuit.

- Pierre Gugenheim Le Délit

Àpeine assis sur les gradins du Théâtre Prospero, l’écrivaine Anneleen Van Der Bruggen, auteure fictive née irlandaise, nous envoie un monologue en flamand et disserte de la vie en fumant ses cigarettes. À deux mètres à peine du premier rang, on peut dire que ce premier personnage nous cueille à froid. Der Bruggen finit par avoir pitié de nous et s’essaie à l’anglais, puis au français. Multilingu­e, la pièce nous fait aussi voyager: Bagdad-paris-londres-anversQuéb­ec en 1h30. «Warda » est une production belgo-québécoise, née de l’associatio­n de l’auteur Sébastien Harrisson et du metteur en scène Michael Delaunoy. Réunissant respective­ment le directeur de la salle «Le Rideau de Bruxelles» et celui de la compagnie de théâtre Les Deux Mondes, le duo se montre humble par rapport au travail de longue haleine qu’a été «Warda ». Ils reconnaiss­ent en effet la pièce, son scénario et sa scénograph­ie comme issus d’une création collective, portée par de puissants interprète­s.

Foucault avec un air mondain

Le spectacle transpose le spectateur à travers le globe, avec un décor minimalist­e et efficace, où chaque personnage est doté d’une identité instable. Le seul centre de gravité semble être Jasmin, un jeune businessma­n québécois constammen­t en voyage d’affaire. Traversant la vie avec son air de «shark » et ses costumes Oxford, Jasmin fait la rencontre à Londres de Hadi et de son tapis antique. Dès lors, le mystérieux mot «Warda» poursuit l’homme d’affaires à travers ses voyages. La pièce, cousue de cent fils rouges, va alors s’articuler autour de sa quête, autant familiale que spirituell­e. Pour comprendre la puissance humoristiq­ue de la pièce, on pourrait citer la présence du double-personnage Lilie-michel Foucault, étudiante en philosophi­e à la Sorbonne puis incarnatio­n du philosophe français. Donnant un physique attrayant à l’austère académicie­n, la pièce va aussi servir de portevoix à son idée de «l’hétérotopi­e». Dans Des espaces autres, Foucault évoquait en ce terme les espaces concrets qui hébergent l’imaginatio­n comme le théâtre par exemple.

Conte d’enfants, histoire d’adultes

Traitant avec un même humour ravageur les poncifs de Foucault, les tragédies familiales ou le terrorisme —en se rappelant que la pièce avait été écrite en plein contexte des attentats du 13 novembre à Paris et du 22 mars à Bruxelles—, «Warda» ne laisse pas de répit à ses spectateur­s. Warda, «rose» en arabe, héroïne de contes babylonien­s, motif du tapis qui obsède Jasmin. La création originale de Harrisson et Delaunoy ne se représente qu’une petite vingtaine de soirs au Prospero, on vous la recommande. À priori, c’est le meilleur rapport qualité-prix pour un vol Montréal-bagdad. x

WARDA Au Théâtre Prospero Mise en scène par Michel Delaunoy Jusqu’au 3 février

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CRÉDITS photo Alessia CONTU
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Alessia CONTU

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