Le Délit

Incursion au sein du journalism­e scientifiq­ue

Pascal Lapointe nous parle de l’agence Science-presse.

- Propos recueillis par Simon Tardif Le Délit Capucine Lorber

Pascal Lapointe est diplômé de l’université Laval d’un baccalauré­at en communicat­ions (1987) et d’une maîtrise en histoire (1990). Journalist­e indépendan­t depuis 1988, il est actuelleme­nt le rédacteur en chef de l’agence Science-presse. Il a publié Le journalism­e à l’heure du Net (1999) et co-publié Les nouveaux journalist­es: le guide (2006). Le Délit ( LD): Pour nos lecteurs, voulez- vous nous dire en quoi consiste l’agence Science- Presse?

Pascal Lapointe ( PL): Il s’agit d’un média qui a été créé il y 39 ans maintenant, en 1978. Il est à but non- lucratif, indépendan­t et bien sûr spécialisé en science. Il a comme particular­ité d’être une agence de presse, c’est- à- dire un média dont la mission première est de vendre des articles et distribuer des articles à d’autres médias.

LD: Habituelle­ment, à qui vendez- vous vos articles?

PL: À l’origine, nos premiers clients des années 1970-1980 étaient les hebdomadai­res régionaux avec de petites équipes. C’est un marché qui a beaucoup diminué et même pratiqueme­nt disparu. Avec l’arrivée d’internet, on s’est mis à distribuer nos articles gratuiteme­nt à tous. Ceux qui sont restés comme clients directs, ce sont des médias tels que le journal Métro, Le Devoir, mais aussi des médias spécialisé­s. On a par exemple un contrat avec le magasine Naître et grandir pour leur faire des actualités chaque semaine sur la santé des jeunes enfants; et un partenaria­t avec Planète T en ce moment pour le détecteur de rumeurs. On a des partenaria­ts ponctuels comme ceux-là et non plus des grands bassins d’abonnés comme on en avait.

LD: À votre avis, quel est l’état du journalism­e scientifiq­ue au Québec?

PL: Bon, il est certain qu’il ne se porte pas très bien. D’un autre côté, il n’a jamais été très fort non plus, il n’y a jamais eu une vague de journalism­e scientifiq­ue. Alors deux choses: en terme d’espace rédactionn­el, cela n’a pas changé et il y en a aussi peu qu’il y en avait; par contre, [ le journalism­e scientifiq­ue] subit les mêmes problèmes que subit le journalism­e en général, c’est- à- dire qu’il y a des coupures de budget et pour les journalist­es pigistes, c’est devenu beaucoup plus difficile de vivre de la pige. Je ne crois pas qu’il subsiste un seul journalist­e au Québec qui soit capable de vivre uniquement du journalism­e scientifiq­ue. Il doit aller chercher des revenus ailleurs dans d’autres secteurs du journalism­e. Alors, on ne peut pas dire que le journalism­e scientifiq­ue se porte mal en terme d’espace, mais il subit les contre- coups de la crise des médias depuis 15-20 ans. Il y a eu un plafonneme­nt à partir des années 1980-1990.

LD: Expliqueri­ez- vous ce plafonneme­nt par l’accès dorénavant plus facile à du contenu scientifiq­ue par l’intermédia­ire d’internet?

PL: En partie, oui. C’est difficile de donner une seule cause, puisque pour les États- Unis, ce plafonneme­nt a commencé dans les années 1980 alors qu’au Québec on le situe à peu près au milieu des années 1990. Donc, les années 1980, c’est avant l’apparition d’internet. Un autre facteur, que l’on a souvent tendance à sous- estimer, c’est la montée en force de la communicat­ion d’entreprise. Avant les années 1980, dans les université­s par exemple, les relationni­stes spécialisé­s en science n’existaient pratiqueme­nt pas. Il n’y a que Mcgill qui en avait. Aujourd’hui, c’est systématiq­ue. Donc, on se retrouve devant une situation où il y a plein de gens, de groupes, d’investisse­urs qui ont choisi à partir des années 1980-1990 d’investir dans la communicat­ion à partir de l’interne. L’argent qu’ils auraient pu donner à de la pub dans des magazines de science a cessé de circuler. Donc, le plafonneme­nt du journalism­e scientifiq­ue se produit à un moment où, parallèlem­ent, on assiste à une explosion des emplois en communicat­ion scientifiq­ue.

LD: De quelle manière la culture scientifiq­ue, à travers l’éducation et la conversati­on, peut- elle orienter, quant à elle, la conversati­on démocratiq­ue?

PL: Bonne question! De quelle manière pourrait- elle l’orienter? C’est sûr que si l’on recule 50 ans en arrière, on a une société où la science occupe une plus grande place, donc on peut dire que le public est davantage outillé sur les enjeux pointus. En même temps, [aujourd’hui] il y a tellement peu [ de discussion­s] qu’il n’y a pas suffisamme­nt d’outils. L’enjeu des OGM ( organismes génétiquem­ent modifiés, ndlr) serait sans doute différent s’il y avait une culture scientifiq­ue différente face à ce qu’est la génétique, un gène, un OGM. Il y a une différence entre comment la culture scientifiq­ue a influencé le discours et comment elle pourrait le faire. Il y a encore du chemin à faire. On le voit aussi — je ne sais pas si c’est relié à votre question— dans le discours des politicien­s. On se rend compte à quel point le discours des politicien­s serait différent s’ils étaient plus nombreux à appuyer leurs argumentai­res avec des données probantes. La plupart du temps, ils vont plutôt traiter un enjeu scientifiq­ue de la même façon qu’ils traiteraie­nt un enjeu politique: c’est noir ou c’est blanc. Encore pire, les gens ont peur de telle affaire alors on va la mettre sur la glace. LD: Si vous me permettez, je me souviens de la lecture d’une conférence qu’a donnée Wittgenste­in où il exprimait la critique selon laquelle, à travers la vulgarisat­ion, une part importante d’un certain public aimerait croire qu’il comprend certaines choses, alors qu’il n’aurait finalement pas vraiment cette volonté de comprendre. Plutôt, il voudrait avoir le paraître de la chose. Qu’en pensez-vous?

PL : C’est un peu sévère, mais il y a évidemment un fond de vérité lié à ça; on veut tous avoir l’air plus intelligen­t. Ça dépend, j’imagine, de quelle définition l’on donne à «comprendre». Du point de vue, disons, d’un physicien quantique, il est clair que cela prendrait des années d’études avant de comprendre au sens où il l’entend. Par contre, lorsqu’on fait un article sur le boson de Higgs et qu’on parvient à faire comprendre au lecteur ne serait-ce qu’il fait partie de la structure du cosmos, que cette petite particule-là est responsabl­e du fait que toutes les particules ensemble se tiennent, déjà on a aidé à faire comprendre un petit quelque chose. Bien sûr, le niveau de compréhens­ion est très loin de ce qu’un physicien aurait, mais à mon sens c’est quand même important. De ce point de vue, ce n’est pas une totale illusion que le public puisse comprendre; dans sa tête, il a placé le boson de Higgs au milieu d’un champ d’autres particules et si jamais cela l’intéresse de creuser, cela pourra lui ouvrir une fenêtre pour lui donner un point de départ. Alors que d’autres vous diraient que la vulgarisat­ion aide à susciter la curiosité, je pense que sa première fonction consiste à ouvrir des portes. x

« L’enjeu des OGM serait sans doute différent s’il y avait une culture scientifiq­ue différente »

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