Le Délit

Il n’y a pas de voix trans universell­e

Le Délit s’est entretenu avec Sophie Labelle, écrivaine et dessinatri­ce.

- Propos recueillis par Lara benattar & eva-meije mounier Le Délit

Sophie Labelle est une écrivaine montréalai­se. Elle est notamment l’autrice de la série de bandes dessinées humoristiq­ue Assignée garçon et de plusieurs écrits pour les enfants. Son travail se penche sur la question du genre et des normes qui l’entourent.

Le Délit (LD): Dans vos créations, vous parlez de l’expérience des personnes trans. Que pensez-vous de la représenta­tion des communauté­s trans dans l’art qui est dit « mainstream» ? Vos bandes dessinées et l’ensemble de vos créations sont-elles produites dans une volonté de combler un manque dans cette représenta­tion?

Sophie Labelle (SL): Premièreme­nt je ne crois pas que je parle des expérience­s trans en tant que telles dans mes bandes dessinées. C’est surtout une volonté de présenter des personnage­s trans sans aucun aspect pédagogiqu­e ou éducatif. Par exemple, dans mes bandes dessinées on ne parle aucunement de la transition des personnage­s, il n’y a aucune explicatio­n ou volonté pédagogiqu­e. Dans la représenta­tion plus mainstream, je crois que le problème majeur, c’est que ça ne s’adresse jamais aux personnes trans ou aux personnes non binaires ou non conformes dans le genre. Chaque fois qu’il y a un film qui est présenté, chaque fois qu’il y a un roman qui sort avec un personnage trans, c’est toujours dans le but, justement, d’éduquer les personnes non trans, c’est jamais parce qu’on fait partie de la société en tant que telle. Et donc, le manque que j’essaie de combler avec ma bande dessinée, c’est vraiment de m’adresser à un public trans, non conforme dans le genre.

LD: Vous considérer­iez-vous quand même comme une voix militante?

SL: Militante dans le sens où justement j’essaie de donner des outils aux personnes trans elles-mêmes pour passer à travers ( bien vivre, ndlr) leur journée ou trouver matière à rire dans des microagres­sions qu’elles subissent quotidienn­ement mais ça s’arrête là. Quant à moi, j’ai aucune prétention de représente­r qui que ce soit. Mon but n’est vraiment pas d’aller éduquer les personnes non trans sur n’importe quel sujet. Les expérience­s trans sont tellement diverses et tellement uniques à chaque individu que c’est assez dangereux de considérer chaque voix de personne trans comme étant la porte-parole d’une communauté.

LD: Donc votre volonté n’est pas de représente­r une communauté entière?

SL: Pas du tout, pas du tout.

LD: D’accord, on peut plutôt se concentrer sur votre expérience puisque vous ne cherchez pas à parler de tout le monde. Vous avez grandi dans un milieu rural au Québec. Pourriez-vous nous parler de votre expérience dans ce milieu-là, par rapport à votre identité.

SP: Je ne préfère pas mettre trop de personnel dans ma vie publique pour concentrer ça davantage justement sur mon travail auprès des personnes trans elles-mêmes.

LD: Avez-vous observé des évolutions au long de votre vie dans la condition des personnes trans, notamment en terme de discours, de représenta­tions et de droits?

SL: C’est certain que c’est beaucoup plus violent de grandir en étant trans présenteme­nt, étant donné toute la lumière qu’on met sur les personnes trans. Le spotlight ( la lumière, ndlr) qu’on met sur les personnes trans présenteme­nt crée énormément de violences dans les médias. C’est rare les journées où je ne tombe pas sur Internet ou dans les journaux, sur un article diffamatoi­re envers les personnes trans. Quant à moi, c’est beaucoup plus dangereux. Je crois que ce serait simplifier la réalité de dire que c’est de mieux en mieux parce que présenteme­nt ce qu’on voit c’est une recrudesce­nce de violences et des mouvements sociaux contre les personnes trans qui s’organisent. Ce qui n’était pas le cas il y a 15-20 ans par exemple. Les gens vivaient dans l’ignorance totale, ce qui contribuai­t à invisibili­ser les personnes trans et leurs enjeux évidemment, mais également c’était beaucoup moins violent à plusieurs égards.

LD: Nous nous demandions aussi pourquoi vous avez choisi de faire une bande dessinée pour faire passer votre message, et pourquoi vous aviez fait le choix du bilinguism­e pour votre webcomic.

SL: Je n’ai pas de message, mon but c’est vraiment de faire rire les personnes trans à travers des blagues par rapport aux micro-agressions qu’elles vivent quotidienn­ement. Donc je n’ai pas de message en tant que tel à faire passer. Moi, la bande dessinée ça a toujours été mon médium principal pour me défouler ou pour ventiler. Je l’ai donc choisie pour créer du contenu auquel les personnes trans peuvent s’identifier. Il y a plusieurs personnes trans qui n’aiment pas mon travail et c’est tout à fait légitime. Mais il n’y pas que la bande dessinée en fait, j’ai également publié plusieurs livres pour enfants, et je lance ce soir mon roman qui est disponible en librairie.

LD: Avez-vous des conseils ou des idées sur l’éducation des enfants, par rapport à un certain cis-centrisme?

SL: Oui, pour moi c’est dans l’éducation des jeunes, c’est important de laisser la plus grande place à l’exploratio­n, de permettre aux jeunes d’explorer leur identité et leur expression de genre. Il faut laisser la plus grande place à cette exploratio­n là. x

« Le manque que j’essaie de combler avec ma bande dessinée c’est vraiment de m’adresser à un public trans, non conforme dans le genre » « C’est [... ] beaucoup plus violent de grandir en étant trans présenteme­nt étant donné toute la lumière qu’on met sur les personnes trans »

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