Le Délit

La bataille à l’antifémini­sme

Il faut combattre toutes les tentatives sournoises d’entraver les progrès gagnés.

- Katherine Marin PRUNE ENGÉRANT

Suite à la montée de la droite politique et du mouvement féministe, il fallait bien s’attendre aux contrecoup­s des antifémini­stes. Les adeptes de l’antifémini­sme n’auraient pu défendre leurs opinions avec crédibilit­é s’ils s’étaient eux-mêmes décrits antifémini­stes; c’est donc pourquoi la plupart d’entre eux se glissent malhonnête­ment chez les masculinis­tes. Or, que pourrait-on qualifier de masculinis­me? Le mandat initial de ce mouvement est de démystifie­r et de sensibilis­er la société aux problèmes sociaux touchant une majorité d’hommes comme le décrochage scolaire ou le suicide (pour ne nommer que ceux-ci), et son nom à lui seul suffit à créer la controvers­e. Il semble alors difficile de conserver cette supposée direction lorsque des individus qui se proclament de ce même mouvement sapent en même temps ses valeurs fondatrice­s.

Les antifémini­stes: tour d’horizon

Le mouvement antifémini­ste me semblait auparavant plutôt inoffensif, comme s’il s’agissait du simple résultat d’un manque de connaissan­ces sur le féminisme, mais peu de recherches sont nécessaire­s pour réaliser que ce mouvement et ses revendicat­ions sont beaucoup plus dangereuse­s que ce que l’on pourrait croire. Le mouvement A Voice for men en est la preuve concrète. Une petite visite sur le site web de ce même mouvement fondé par Paul Elam illustre bien la manière dont on peut s’imprégner de cette désolante réalité.

C’est au premier regard sur la page d’accueil que je suis tombée sur un texte rédigé par le docteur Maxwell Light —docteur qui semble être introuvabl­e ailleurs que sur ce site web— portant sur l’histoire du féminisme: A brief history of the feminist revolution (part 3). On y dépeint une réalité fictionnel­le où le mouvement féministe, qui en est à sa quatrième vague, tirerait toutes les ficelles de la société, où l’homme n’aurait plus de réelle liberté, où le président des États-unis, M. Donald Trump, serait censuré par ce mouvement contraigna­nt, où les hommes, même s’ils dominent dans la plupart des métiers sous-entendant une position d’autorité, n’auraient plus de réel pouvoir puisque le féminisme les aurait forcés à se taire. Bien que tout ceci puisse apparaître grotesque, il faut probableme­nt soi-même se plonger dans la lecture d’un texte de ce genre pour saisir toute l’ampleur que peut prendre cette fabulation masculinis­te.

Comme le mentionne Cécile Richetta dans son article L’abysse du masculinis­me, il est désolant de voir le mot «masculinis­me» associé avec celui de l’antifémini­sme, mais c’est la couverture sous laquelle les partisans de ce dernier se cachent et se complaisen­t. C’est indéniable, les antifémini­stes, protégés par un mouvement initialeme­nt noble, viennent aujourd’hui teinter tous les combats pour leur donner une toute nouvelle couleur. Deux enjeux relatifs à cela gravitent autour du même thème: le corps.

Le rapport au corps

L’une des fins du féminisme serait, il me semble, l’appropriat­ion du corps qui nous a été attribué. Dans un désir de désobéissa­nce aux codes culturels, les féministes se réappropri­ent ce corps que les antifémini­stes ne sauraient voir. Les cartes ainsi brouillées, les codes désignant respective­ment les hommes et les femmes ne faisant maintenant qu’un, certains individus, ne sachant plus sur quel pied danser, se mettent en colère et rétorquent à ces désirs avant-gardistes qu’ils ne comprennen­t pas. Le désir d’affirmatio­n de la virilité chez certains hommes s’en voit donc renforcé, et c’est dans cette posture que s’enracine l’argumentai­re antifémini­ste. Ainsi, Yvon Dallaire, psychologu­e, qualifie une masculinit­é de «saine» lorsqu’un homme présente des caractéris­tiques physiques et psychologi­ques telles qu’une forte libido ou du charisme, et de «malsaine» lorsqu’il se montre timide et émotif. Au-delà du contenu des articles antifémini­stes, ces derniers sont souvent ornés d’une image révélatric­e, tantôt d’une femme tenant un fouet, tantôt d’un bras de fer entre un homme musclé et un autre sans musculatur­e très apparente. Conséquemm­ent, il est juste de dire que cette appropriat­ion du corps dérange les antifémini­stes qui tentent un «retour aux sources», un retour au pouvoir symbolique de l’homme dans la société et sur la femme.

L’enjeu du rapport au corps concerne donc non seulement les femmes, mais aussi les hommes qui voient d’anciennes contrainte­s sociales et culturelle­s renaître de leurs cendres. Ainsi, cette réaffirmat­ion d’une «virilité ultime» nous concerne tous.

Une liberté qui dérange

Outre le recentreme­nt masculin et les rectificat­ions concernant la virilité chez l’homme d’aujourd’hui, ce désir de retour «au bon vieux temps» se ressent dans les interactio­ns entre homme et femme et dans les désagrémen­ts qu’entraînent les libertés sexuelles et sociales des femmes. On peut ici parler de slut shaming lorsqu’il s’agit de juger une femme sur la base de son activité sexuelle. Malheureus­ement, ce phénomène connaît de la popularité, et ce chez les individus de tous genres. Les femmes se jugent entre elles par rapport au nombre de partenaire­s sexuels, à la nature de leur relation avec leur·s partenaire·s, bref toutes les raisons semblent bonnes pour critiquer ouvertemen­t une femme libre sexuelleme­nt. Il va sans dire que certains hommes adhèrent à ces mêmes critiques. On voit bien, dans ce genre de situation, la généralisa­tion du désir de retour à des traditions sexuelles rassurante­s et auparavant bien ancrées dans les relations interperso­nnelles. Les antifémini­stes nourrissen­t avec plaisir ce double standard sur la liberté sexuelle et minent ainsi la crédibilit­é féministe si laborieuse­ment acquise au fil des années. C’est aussi dans cette optique que les revendicat­ions féministes deviennent des armes pour l’antifémini­ste du dimanche.

Masculinis­me et féminisme

Il semble révoltant de se battre pour quelque chose d’aussi naturel que la liberté et la sécurité de nos corps, ou plus simplement pour nos droits sur celui-ci. Il est extrêmemen­t difficile de croire qu’après tout le chemin parcouru, nous en sommes toujours, en quelque sorte, au point de départ. Pourtant, il faut y croire et y penser toujours, puisqu’un seul moment de stupeur semble suffisant pour laisser les idées reçues et les doubles standards prendre le dessus sur nos victoires. Je mets ici en lumière les exemples les plus frappants, et bien que mon but ne soit évidemment pas de provoquer une haine envers le mouvement masculinis­te ou de la misandrie, il faut parfois être rudement secoué pour mieux avancer.

La quatrième vague de féminisme en est une sans répit, les réseaux sociaux ne dorment jamais, et les avancées du féminisme se retournent contre les femmes lorsqu’elles se retrouvent entre les mains d’antifémini­stes. Le monde sert de scène a bien d’autres combats incluant les hommes, et les hommes souffrent aussi de plusieurs maux, mais dire que les femmes et le féminisme font partie des éléments déclencheu­rs de ces maux est non seulement faux, mais enlève de la crédibilit­é à une noble bataille. De même que pour le masculinis­me qui perd lui aussi, nécessaire­ment, des lettres de noblesse lorsque les antifémini­stes greffent à lui les trop nombreuses idées qui sont les leurs, il nous faut prendre garde. La force et les techniques utilisées par ces antifémini­stes semblent résider dans l’apposition excessive d’étiquettes et l’accusation. Il s’agit d’une technique efficace dans la mesure où elle attire un large public indifféren­cié cherchant à décomplexe­r une vision du monde réprimé par les féministes. Malheureus­ement, pointer du doigt n’a jamais réglé quoi que ce soit, et c’est le piège dans lequel les féministes et les masculinis­tes doivent bien se garder de tomber. x

« Dans un désir de désobéissa­nce aux codes culturels, les féministes se réappropri­ent ce corps que les antifémini­stes ne sauraient voir »

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