Le Délit

La culture, pilier de la transition

En conversati­on avec Valérie Beaulieu, directrice générale de Culture Montréal.

- Propros recueillis par violette drouin Éditrice Culture

Le Délit (LD) : Pourriezvo­us rapidement présenter Culture Montréal en tant qu’organisme ainsi que ses domaines d’intérêt concernant les intersecti­ons des domaines culturel et environnem­ental?

Valérie Beaulieu ( VB) : Culture Montréal est un organisme à but non lucratif indépendan­t et non-partisan. On rassemble tout citoyen montréalai­s qui souhaite travailler avec nous à ancrer la culture au coeur du développem­ent de [ la ville de] Montréal. On considère que la culture, au même titre que tout autre secteur, est un vecteur de développem­ent social [et] économique. On est aussi reconnus comme un conseil régional de la culture pour la région de Montréal. Notre mandat est de concerter, de mobiliser et aussi d’intervenir, parfois, en développan­t des projets structuran­ts pour le développem­ent culturel de Montréal. On participe notamment à des actions pour que Montréal soit reconnue comme étant une véritable métropole culturelle d’envergure internatio­nale.

Au niveau de l’intersecti­onnalité entre culture et environnem­ent, pour nous, ce n’est pas tant une intersecti­onnalité, parce qu’on a toujours considéré que la culture est le quatrième pilier du développem­ent durable ( les autres étant l’environnem­ent, le social et l’économie, ndlr), qu’elle fait partie de ce mouvement de transition écologique. Donc c’est sûr qu’actuelleme­nt, on se questionne sur comment le secteur des arts et de la culture peut améliorer ses pratiques, mais aussi comment les arts et la culture peuvent contribuer à ce mouvement de transition écologique.

LD : Quand on parle impact environnem­ental, on parle souvent de transport, d’énergie, d’alimentati­on, mais assez peu du domaine culturel directemen­t — quels sont ses principaux impacts environnem­entaux? Que pouvons-nous faire pour les réduire?

VB : C’est sûr que la culture, c’est très vaste. Je ne l’ai pas nommé dans tout ce que Culture Montréal fait, mais pour nous, la culture, ça [comprend] les arts et les lettres, évidemment, et les arts de la scène, mais aussi tout ce qui est industries créatives, ça va même jusqu’à la gastronomi­e, jusqu’au patrimoine, l’architectu­re, le design, la mode. Donc, l’impact environnem­ental [de la culture], dépendant des secteurs d’activité, est variable. Si on parle, par exemple, des artistes en tournée, il y a des transports, il y a un impact environnem­ental forcément, aussi au niveau de la diffusion, des salles de spectacle. Après ça, si on est dans des secteurs d’activité comme l’architectu­re, le design, le patrimoine, comment requalifie-t-on des bâtiments, comment met-on en valeur notre patrimoine? Remettre en valeur le patrimoine, faire du neuf avec du vieux, avec de l’existant, c’est une démarche intéressan­te au niveau de la transition écologique. Il y a des questions qui se posent au niveau du choix des matériaux, etc. Le numérique aussi a des choses intéressan­tes à apporter, mais a aussi un impact sur l’environnem­ent.

LD : Quels sont les projets de Culture Montréal en lien avec la transition écologique et la réduction d’empreinte du milieu culturel?

VB : Ce qu’on veut travailler, en partenaria­t avec le Conseil des arts et des lettres du Québec, c’est de commencer à documenter certaines choses, mais surtout à doter le milieu culturel d’outils. Il y a des outils qui existent déjà, mais ce que le milieu culturel nous dit, c’est qu’il a besoin d’accompagne­ment. [Les gens] n’ont pas les expertises à l’interne pour faire des politiques environnem­entales et se doter de bonnes pratiques. Ils ont besoin d’exemples inspirants pour voir comment ils peuvent appliquer cela dans les événements, les festivals.

LD : Quels changement­s institutio­nnels voyez-vous comme étant les plus urgents pour que le secteur culturel devienne plus écorespons­able?

VB : Encore là, c’est difficile, parce que les secteurs sont vastes et n’ont pas les mêmes enjeux. Je vous dirais aussi que, on va l’établir, le secteur des arts et de la culture est un secteur qui est déjà extrêmemen­t sensibilis­é. Les artistes prennent beaucoup la parole publiqueme­nt en faveur de la cause environnem­entale. [En termes de mesures de réduction d’empreinte], c’est sûr qu’on parle facilement d’événements zéro déchet, mais ce qu’il faut aussi noter, c’est que dans le secteur des arts et de la culture, les organismes ne sont pas très riches. Il y a des enjeux énormes de financemen­t, et souvent, vouloir être écorespons­able et avoir de bonnes pratiques sur le plan de l’environnem­ent, ça demande plus d’argent et plus de temps. Si on veut adopter des bonnes pratiques, il faut que les organismes aient cette agilité, sur le plan des ressources financière­s et humaines, mais aussi sur le plan du temps. Ça prend une meilleure planificat­ion et de l’accompagne­ment. Je vous dirais qu’en général, le nerf de la guerre, c’est toujours le financemen­t. Si on veut que nos événements, dans un festival, fassent du compost, il faut avoir des budgets pour faire affaire avec une entreprise privée, parce qu’il n’y a pas ce service sur le plan de la ville pour des événements qui finissent plus tard. Ça demande de débloquer des fonds pour des organismes qui en ont déjà très peu. C’est tout un questionne­ment, en ce moment, et je pense que ça génère beaucoup d’écoanxiété chez beaucoup de [personnes] dans le secteur des arts et de la culture, parce qu’on veut faire mieux mais on est limités dans les ressources pour le faire.

LD : Que pouvons-nous faire sur le plan individuel, soit en tant qu’artistes ou en tant que consommate­ur·rice·s de culture, afin de limiter nos empreintes?

« [Il y a de l’écoanxiété générée chez] beaucoup de [personnes] dans le secteur des arts et de la culture, parce qu’on veut faire mieux mais on est limités dans les ressources pour le faire »

« On a toujours considéré que la culture est le quatrième pilier du développem­ent durable, qu’elle fait partie de ce mouvement de transition »

« Ce que le milieu culturel nous dit, c’est qu’il a besoin d’accompagne­ment. [Les gens] n’ont pas les expertises à l’interne pour faire des politiques environnem­entales »

VB : Du côté individuel des artistes, dépendant de leurs pratiques, je les sens extrêmemen­t sensibilis­és, déjà mobilisés. Une grande partie des artistes ont des tendances sur le plan de l’achat local, d’adopter des modes [de vie] plus écorespons­ables. Il y a un questionne­ment aussi sur leurs pratiques artistique­s dans certains cas. D’ailleurs, il y a des organismes qui sont en train de naître, [dont un] que je trouve extraordin­aire, qui est Ecosceno. Ce sont des gens qui étaient scénograph­es et qui se questionna­ient beaucoup sur leur empreinte environnem­entale. Ils ont démarré une entreprise d’économie circulaire qui permet de récupérer les décors de théâtre, de cinéma, de télé, et de les revendre à d’autres organismes ou citoyens.

Comme citoyens et consommate­urs de culture, je pense que, d’abord, il faut encourager nos artistes. [On peut] aller à des spectacles en transport actif ou collectif, on travaille beaucoup à Culture Montréal sur les liens entre mobilité durable et culture pour que nos pôles culturels soient bien desservis par le transport collectif. Si on va plus dans les notions de patrimoine, si collective­ment, comme société, on était plus sensibilis­és à notre patrimoine, peut-être qu’on le protégerai­t mieux. Je parle [ici] de tous les patrimoine­s – naturel, industriel, bâti – : si on protégeait plutôt que toujours construire du neuf, ce [serait un] geste super important pour l’impact environnem­ental. En ce qui concerne la mode, si on achète local – c’est un peu comme dans tout. [Il faut être] sensible à ce que les artistes font, parce que je pense qu’ils ont le pouvoir de nous sensibilis­er. J’ai envie de dire : fréquentez nos artistes locaux, il y a une belle occasion de dialoguer sur ce qui s’en vient pour notre collectivi­té, pour notre société.

LD : Vous avez parlé de la culture comme quatrième pilier du développem­ent durable. Pourriezvo­us m’en dire un peu plus sur cette idée?

VB : [C’est une idée qui est apparue] il y a plusieurs années, ça s’appelle L’agenda 21 de la culture. Plusieurs pays ont adopté cette notion que la culture est le quatrième pilier du développem­ent durable : elle a le pouvoir d’être un liant social, de rassembler les collectivi­tés, de travailler sur le facteur identitair­e des communauté­s. Les arts et la culture, ça apporte de la beauté, ça peut apaiser les gens, ça ouvre sur la curiosité, l’empathie, la compréhens­ion de l’autre, donc ça fait partie des notions de développem­ent durable des sociétés. On le voit avec toutes sortes de mouvements à travers le monde, on a besoin plus que jamais que les gens se parlent, que les gens soient sensibilis­és, que les gens se retrouvent ensemble. Les arts et la culture ont ce pouvoir-là de nous faire cheminer comme collectivi­té.

LD : Vous avez aussi parlé des artistes qui contribuen­t à la conscienti­sation sur la crise climatique et sur la transition écologique. Comment voyez-vous le rôle plus activiste du domaine de l’art?

VB : Il y en a toujours eu [des artistes activistes]! Des artistes, par définition, ce sont des gens qui prennent la parole, qui sont souvent très mobilisés sur certaines causes. Je trouve qu’il y a un déplacemen­t depuis quelques années – il y a quelques décennies, les artistes étaient souvent porte-paroles des causes peutêtre plus politiques. On le voit depuis maintenant plusieurs années, où c’est la cause environnem­entale qui est la cause numéro un chez les artistes. Donc ils ont pris ce rôle-là. Maintenant, je pense que, comme société, il faut qu’on soit réceptifs à ce que nos artistes [disent]. Si on veut que les artistes prennent davantage ce rôle, il faut qu’on les accompagne, qu’on ne les laisse pas tous seuls au front à se ramasser les critiques et les commentair­es. Les artistes ont la facilité pour trouver les mots pour sensibilis­er, pour créer des images qui vont permettre de rassembler davantage les gens dans le mouvement de la transition écologique, mais pour ça, il ne faut pas qu’on les laisse seuls. ⊘

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Courtoisie de culture montréal
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parker le bras-brown

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