Le Délit

De la musique aux corps idéaux

Les Grands Ballets présentaie­nt Danser Beethoven.

- Audrey bourdon Éditrice Philosophi­e simon tardif Contribute­ur

Les Grands Ballets et leur orchestre nous présentaie­nt ce 19 février dernier la première de Danser Beethoven. Les chorégraph­es Garrett Smith et Uwe Scholz ont tous deux relevé le défi de transposer respective­ment les 5e et 7e symphonies du grand compositeu­r Ludwig van Beethoven à la danse. Retour sur ce ballet époustoufl­ant.

Symphonie no. 5

Plusieurs connaissen­t la cinquième symphonie de Beethoven, du moins pouvons-nous en décrire un ou deux des nombreux motifs. Cela en fait un choix assez traditionn­aliste pour les Grands Ballets, qui peuvent tout de même être célébrés pour leur audace, en raison de la chorégraph­ie même qu’ils ont mise de l’avant – une chorégraph­ie intempesti­ve aux formes classicist­es. Rompant avec certaines des récentes production­s de la plupart des grandes compagnies de ballet, le choix a été de respecter la musique.

Cette symphonie représente le motif même du destin. La mise en scène rappelant la table à tisser des grandes Parques – de longs fils dorés descendaie­nt du plafond jusqu’au sol – n’échappait pas à cela. Un mot nous suivait : fatum. Les danseur·euse·s glissaient entre les fils, déployant par-delà les différents mouvements la nécessité inextricab­le à laquelle nous appartenon­s tous·tes. La noblesse des formes était toute simple, tant fut que les corps se sont prêtés à la représenta­tion de ce qui les dépassaien­t.

Dans ce jeu si familier, au troisième mouvement, une lumière oblique traversait la scène, véritable rencontre de l’éclaircie. Une danseuse se tenait en plein coeur de la lumière, rejointe très rapidement par deux autres danseurs ; l’humain n’est pas sans l’autre ; notre identité est en litige avec celle des autres. Seule la trame du grand jeu des tonalités nous rappelle notre unicité : nous n’avons tous qu’un seul fil, le nôtre.

En égard au classicism­e, la chorégraph­ie est donc un prodigieux succès. Elle nous rappelle le vieil adage grec ancien qu’il ne peut être de corps mort qui regarde le soleil – c’est là l’une des prérogativ­es du vivant, cette conjugalit­é mondaine avec l’étoile. La lumière chaude dorée qui abonde sur des corps lustrés durant le sempre più allegro du dernier mouvement nous rappelle un instant, par démesure, que le corps n’est qu’une idée qui n’a de consistanc­e que sous sa lumière.

Symphonie no. 7

Si la chorégraph­ie de la cinquième symphonie faisait hommage au doré du soleil, celle de la septième danse est un hommage au blanc de la lune. Les danseur·euse·s semblaient représente­r les mouvements de l’eau-même, tout en faisant penser à des cygnes navigant sur un lac baignant dans une atmosphère nocturne. Richard Wagner avait qualifié la septième symphonie de Beethoven d’une « apothéose de la danse » : cette seconde partie du spectacle est davantage un ballet classique, à la fois languissan­t et bondissant. Les performanc­es sont souriantes, dans une chorégraph­ie romantique, d’une gracieuset­é plus traditionn­elle.

Le grand espace de la scène est plus occupé dans cette chorégraph­ie, où la profondeur est remplie par la grande quantité de danseurs et danseuses. Le chorégraph­e joue avec la répétition des enchaîneme­nts de mouvements, offrant des rappels tout au long de la symphonie. L’agencement des costumes et des décors est plus stable, alors que les premiers sont blancs et ne changent pas, et que les seconds ne se résument qu’à des projection­s sobres différente­s à chaque mouvement. À la musique de l’orchestre s’ajoutent les martèlemen­ts délicats des pointes des danseuses. C’est un ravissant duo sonore typique du ballet.

Parmi le grand talent des danseur·euse·s, le demi-soliste André Santos mérite une mention spéciale pour son exceptionn­el charisme scénique. Sa présence obnubile le regard aussitôt son entrée sur scène : sa maîtrise est à souligner, sa force de vivre se faisant remarquer dans chaque mouvement.

Danser Beethoven coupe le souffle de par sa beauté chorégraph­ique et scénique. Les admirateur·rice·s de ballet en seront remué·e·s. ⊘

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sasha onyshchenk­o

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