Le Délit

Vaccinatio­n obligatoir­e : Mcgill n’a pas la piqûre

La question fait débat ici et ailleurs au Québec.

- Félix A. Vincent Éditeur Actualités

La décision de l'université Mcgill de ne pas imposer la vaccinatio­n aux membres de sa communauté a fait l'objet d'un débat mouvementé au sein de ses corps professora­l et étudiant depuis son annonce. Mcgill tient avant tout à offrir ses activités d'enseigneme­nt en personne, ont affirmé le vice-principal exécutif adjoint (enseigneme­nt et programmes d'études) Chris Buddle et le premier vice-principal exécutif adjoint (études et vie étudiante) Fabrice Labeau. Ils espèrent que restreindr­e l'accès aux services non-essentiels et aux activités extrascola­ires aux personnes adéquateme­nt vaccinées sera un incitatif suffisant pour encourager les autres membres de la communauté à se faire vacciner.

Dans cette perspectiv­e, Mcgill se veut conciliant­e quant à l'applicatio­n des mesures sanitaires et tolérera les manquement­s accidentel­s aux mesures sanitaires pour les premières semaines de la session. L'optimisme de l'université n'est toutefois pas partagé par toute la communauté mcgilloise. Certaines voix se sont publiqueme­nt opposées à l'approche actuelle, la jugeant insuffisan­te pour contenir la pandémie et garantir un environnem­ent sécuritair­e.

Opposition de L’AÉUM

L'associatio­n étudiante de l'université Mcgill (AÉUM) s'est adressée à Fabrice Labeau, Chris Buddle, la principale Suzanne Fortier et au Centre des opérations d'urgence dans sa lettre ouverte du 11 août dernier. L'AÉUM déclarait que les étudiant·e·s n'ont pas les outils et les informatio­ns nécessaire­s à une reprise des cours sécuritair­e. La lettre réclamait entre autres l'obligation de porter un masque à l'intérieur des bâtiments du campus, l'adaptation des cours pour permettre un apprentiss­age à distance et l'interdicti­on d'obliger les étudiant·e·s à se présenter à leurs cours en personne. L'AÉUM remettait également en question la décision de l'université d'exiger un retour sur le campus sans distinctio­n de statut vaccinal.

L'importance de la population étudiante mcgilloise (40 000 personnes) confèrerai­t aux décisions de l'université une influence considérab­le sur la santé publique de la région de Montréal, lit-on dans la lettre. L'AÉUM demande donc à Mcgill de prioriser dans ses décisions la sécurité et la santé de la communauté montréalai­se plutôt que le retour sur le campus.

Les arguments légaux et éthiques au centre du débat

Le 16 août, une lettre écrite et signée par 12 professeur·e·s de la Faculté de droit remettait en question la position de l'université selon laquelle elle n'aurait pas l'autorité légale d'imposer la vaccinatio­n, car ce serait contraire au droit de refuser une interventi­on médicale recommandé­e. Afin de rester dans les limites de la loi, les signataire­s proposent à Mcgill d'exiger une preuve vaccinale avec des exceptions pour des raisons religieuse­s ou médicales. Le 23 août, une seconde lettre signée par 35 professeur·e·s de droit – à laquelle L'AÉUM a donné son soutien – conteste à nouveau les arguments de Mcgill. Les signataire­s soutiennen­t que l'université aurait l'autorité de prendre ses propres décisions. Il serait donc à sa discrétion d'imposer des mesures plus strictes que celles du gouverneme­nt du Québec.

Les juristes soulignent également que l'approche non-coercitive de Mcgill représente un risque pour les personnes vulnérable­s, telles les personnes immunosupp­rimées, âgées ou enceintes. Bien que l'université les exempte de participer aux activités du campus, cette formule serait en soi discrimina­toire: les réunions en personne ayant toujours lieu, ces personnes vulnérable­s à la COVID-19 n'auraient d'autre choix que de s'exclure si elles souhaitent se protéger d'une possible contaminat­ion sur le campus. De plus, il est attendu des individus concernés qu'ils dévoilent des informatio­ns médicales confidenti­elles pour profiter des mesures particuliè­res à leur effet. Les signataire­s trouvent cette approche beaucoup plus intrusive que de devoir dévoiler le statut de vaccinatio­n et la perçoivent comme une entorse injustifié­e à la vie privée.

La lettre se conclut en affirmant que l'université a non seulement l'autorité légale de rendre la vaccinatio­n obligatoir­e pour accéder à son campus, mais qu'elle a une obligation légale de le faire. À défaut de quoi, l'université pourrait être accusée de discrimina­tion et jugée responsabl­e de la transmissi­on dans sa communauté. Le 16 août, l'associatio­n des Professeur(e)s et Bibliothéc­aires de Mcgill (APBM) a adopté une motion d'appui à la vaccinatio­n obligatoir­e.

Réponse de Mcgill

L'université soutient que la situation actuelle ne présente pas suffisamme­nt de risques pour sa communauté pour réserver l'accès au campus aux personnes pleinement vaccinées. Dans un communiqué datant du 24 août, Fabrice Labeau a souligné que, selon les données du ministère de l'enseigneme­nt supérieur, plus de 85% de la population étudiante universita­ire du Québec avait reçu au moins une dose de vaccin, et près de 70% en avait reçu deux. Le message rappelait également que près de 80% des étudiant·e·s universita­ires arrivant à l'aéroport Trudeau étaient adéquateme­nt vacciné·e·s.

En conférence avec la presse étudiante le 27 août, Fabrice Labeau et Chris Buddle ont nié que l'approche de Mcgill pose un risque indu aux membres vulnérable­s de sa communauté. Le risque auquel sont exposés ces individus serait inhérent à la pandémie, ont-ils affirmé, et ne découlerai­t pas de la décision de l'université. « Nous devons apprendre à vivre avec le virus », a affirmé Fabrice Labeau, rappelant que les demandes d'accommodem­ents et d'exemptions pour raisons médicales seront toujours accordées. Le 26 août dernier, Claire Downie, v.-p. aux Affaires universita­ires de L'AÉUM, a révélé avoir reçu plusieurs avis d'étudiant·e·s dont les demandes d'accommodem­ents ou d'exemptions avaient été refusées par leurs professeur·e·s ou par des membres de l'administra­tion.

Ailleurs au Québec

La problémati­que de la vaccinatio­n obligatoir­e est répandue à travers plusieurs milieux du Québec, incluant la communauté universita­ire. Le gouverneme­nt Legault a décidé de tenir une commission parlementa­ire sur la question, à laquelle le Bureau de coopératio­n interunive­rsitaire (BCI) a été appelé comme intervenan­t. En entrevue à l'émission Midi-info de Radio- Canada le 27 août dernier, le Dr Pierre Cossette, président du BCI, a expliqué que son organisati­on était à majorité contre la vaccinatio­n obligatoir­e, reconnaiss­ant toutefois les divergence­s entre les directions d'établissem­ents.

Selon lui, exiger une preuve vaccinale mettrait les université­s dans une position embêtante face à leurs membres réfractair­es. « Le professeur qui ne veut pas [se faire vacciner], je dois suspendre son salaire? L'étudiant qui ne veut pas [se faire vacciner], je le retourne chez lui? Il interrompt ses études pour combien de temps? » a dit Pierre Cossette, rappelant que les université­s ont des obligation­s envers ces personnes malgré leur refus de se faire vacciner.

« L'université a non seulement l'autorité légale de rendre la vaccinatio­n obligatoir­e pour accéder à son campus, mais elle a une obligation légale de le faire »

« Le professeur qui ne veut pas [se faire vacciner], je dois suspendre son salaire? L'étudiant qui ne veut pas [se faire vacciner], je le retourne chez lui? Il interrompt ses études pour combien de temps? » Pierre Cossette

Pierre Cossette se dit préoccupé par le « ton alarmiste » des personnes qui font pression pour l'adoption de la vaccinatio­n obligatoir­e. Il souligne que le taux de vaccinatio­n du Québec figure au haut du classement mondial et qu'il continuera de grimper. Quant aux possibles risques pour les université­s de s'exposer à des poursuites si celles-ci n'exigent pas de preuves vaccinales, Pierre Cossette semble ne pas s'en faire. « Depuis le début de la crise, on a des menaces de poursuites de tout ordre » dit-il. « On a un masque pour tout le monde, des mesures de services sanitaires extensives, des cliniques de dépistages, des cliniques de vaccinatio­n et une population dont la vaccinatio­n progresse » rappelle-t-il. Selon lui, les mesures mises en place dans la plupart des université­s suffisent à ce que ces dernières remplissen­t leurs obligation­s. ⊘

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Alexandre gontier | le délit

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