Le Délit

Le français en salle de classe

L’applicatio­n du « droit au français » remis en question par un rapport de L’AÉUM.

- Marco-antonio hauwert rueda Éditeur Philosophi­e

Article 19, Charte des droits de l’étudiant (1984)

En 1969, à la suite de la pression du mouvement « Mcgill français » et des recommanda­tions de quelques membres de l’administra­tion, le principal de l’université Mcgill Rocke Robertson reconnaiss­ait pour la première fois le droit de tout · e étudiant · e de remettre ses travaux en français. Aujourd’hui, un peu plus d’un demi-siècle plus tard, ce droit est toujours inscrit dans la Charte des droits de l’étudiant (CDE). Mais malgré son inscriptio­n légale, l’applicatio­n de cette déclaratio­n est toujours remise en question. C’est en effet l’objet d’un rapport publié en fin de session dernière par l’associatio­n étudiante de l’université Mcgill (AÉUM), qui examine si l’article 19 de la CDE est correcteme­nt appliqué dans toutes les salles de cours de linstituti­on. Rédigé par Jeanne Prévost, le rapport se base sur une série de sondages diffusés aux professeur · e · s et étudiant · e · s de l’université entre avril et juin 2020.

Les pratiques du corps professora­l

Selon le rapport, les professeur·e·s de l’université ont déclaré avoir reçu en moyenne 5,21 soumission­s françaises en vertu de l’article 19 dans les cinq dernières années (soit environ une soumission par année). Ces soumission­s divergent cependant considérab­lement entre différent·e·s enseignant·e·s, 57% d’entre eux·elles n’ayant reçu aucune soumission en français dans cette période.

De nombreux facteurs peuvent expliquer ce faible taux de soumission, selon Prévost. Par exemple, les étudiant·e·s « peuvent se sentir mal à l’aise à l’idée de soumettre des travaux en français en fonction de la langue parlée de leurs enseignant·e·s », puisque la plupart des cours sont enseignés en anglais. Certain·e·s de ces professeur·e·s découragen­t d’ailleurs explicitem­ent l’utilisatio­n du français dans leurs cours et leurs examens, arguant que l’apprentiss­age de l’anglais « améliorera » les opportunit­és profession­nelles des étudiant·e·s « au-delà du Québec ».

Malgré l’obligation de mentionner dans leur plan de cours que les étudiant·e·s ont le droit de se prévaloir de l’article 19, une minorité de professeur·e·s déclare ne pas le faire. Sachant que nombre d’étudiant·e·s se fient sur ce plan pour savoir ce qu’il·elle·s peuvent ou ne peuvent pas faire pour un cours donné, Prévost conclut qu’il est probable que certain·e·s étudiant·e·s ne sachent même pas qu’il·elle·s ont le droit de rédiger leurs examens et travaux en français.

Le point de vue des étudiant·e·s

En plus du sondage distribué aux professeur·e·s de l’université, une étude qualitativ­e a été menée avec des étudiant·e·s de l’université. Parmi les interrogé·e·s, 70% déclarent que leurs production­s en anglais manquent de qualité par rapport à celles rédigées en français. Cependant, seulement 50% des interrogé·e·s disent avoir invoqué l’article 19 au moins une fois depuis le début de leurs études. Qui plus est, parmi ceux et celles qui n’ont jamais utilisé leur droit, « 60% des répondant·e·s ont déclaré avoir un niveau d’anglais inférieur à leur français ».

Excluant les raisons énumérées ci- haut, l’une des raisons principale­s mentionnée par les étudiant · e · s expliquant cette réticence est qu’il · elle · s « ne connaissen­t pas le vocabulair­e approprié pour leur domaine en français » . En d’autres termes, étant donné qu’il · elle · s suivent des cours exclusivem­ent en anglais, les étudiant · e · s n’apprennent pas l’équivalent français de leurs leçons. Interrogée par Le Délit, Prévost ajoute que vu que « tous les aspects de leurs cours, de l’instructio­n aux communicat­ions et matériaux de cours, sont en anglais » , cela « peut inconsciem­ment dire aux étudiant · e · s que le français n’est pas le bienvenu dans leurs classes » .

À cela, dit le rapport, s’ajoute une crainte d’être noté · e différemme­nt de leurs pairs. Certain · e · s enseignant · e · s n’étant pas francophon­es, les étudiant · e · s francophon­es préfèrent ne pas courir le risque d’être noté · e · s par quelqu’un qui n’est pas leur enseignant · e et qui pourrait avoir un critère de notation plus strict.

Contexte contempora­in

En conversati­on avec Le Délit, Prévost admet qu’elle aimerait voir le taux de soumission en français augmenter parmi les francophon­es. Cependant, elle dit comprendre qu’il y a « ceux·elles qui choisissen­t de soumettre leur travail en anglais pour des raisons personnell­es », comme par exemple l’améliorati­on de leurs compétence­s écrites en anglais. L’idéal, selon elle, serait d’avoir une Université où « les étudiant·e·s se sentent confortabl­es de soumettre leur travail en français ou en anglais sans pression extérieure de le faire dans ce dernier ». À ce titre, le rapport conclut qu’il y a encore du chemin à parcourir.

Il faut savoir que l’applicatio­n de l’article 19 n’est pas le seul domaine dans lequel les francophon­es mcgillois·es ont déclaré se sentir délaissé·e·s dans les dernières années. Par exemple, la Constituti­on de L’AÉUM de 2017 (amendée depuis) n’a jamais été disponible en français sur le site internet de L’AÉUM. Quand Le Délit a pu obtenir l’accès au document, il a découvert de nombreuses fautes d’orthograph­e et de syntaxe. Les défaillanc­es de L’AÉUM ne s’arrêtent pas là : pendant l’année 2019-2020, la commissair­e aux Affaires francophon­es, Juliette Chesnel, devait se charger de superviser toutes les traduction­s de L’AÉUM – même si ce n’était pas son mandat officiel – parce que celles-ci étaient pleines de fautes. Lors d’un référendum en mars 2020, les membres de L’AÉUM ont rejeté une motion voulant financer la francisati­on de L’AÉUM.

Ce sentiment d’exclusion, des francophon­es ont également déclaré le ressentir à cause de leurs pairs. Une étudiante relate au Délit comment elle s’est fait demander de parler en anglais par ses camarades de classe, malgré le fait que l’intervenan­te du cours était une déléguée générale québécoise. Par ailleurs, plusieurs associatio­ns étudiantes ont des documents exclusivem­ent en anglais et des membres uniquement anglophone­s. Force est de constater que, malgré quelques acquis, l’inclusion des francophon­es à Mcgill demeure encore difficile à ce jour. ⊘

« Chaque étudiant a le droit de soumettre en français ou en anglais tout travail écrit devant être noté, sauf dans le cas de cours dont l’un des objectifs est la maîtrise d’une langue »

« Certain·e·s de ces professeur·e·s découragen­t explicitem­ent l’utilisatio­n du français dans leurs cours »

« L’idéal serait d’avoir une Université où les étudiant·e·s se sentent confortabl­es de mettre leur travail en français ou en anglais sans pression extérieure de le faire dans ce dernier » Jeanne Prévost

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marco-antonio hauwert rueda, le délit
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