Le Devoir

Ottawa fait un premier pas

Les balises prévues par le projet de loi demeurent trop importante­s aux yeux de certains

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Service minimal. Ainsi pourrait-on résumer le projet de loi d’Ottawa encadrant l’aide médicale à mourir. Le gouverneme­nt fédéral a choisi l’approche la plus restrictiv­e — et la plus consensuel­le — qui soit, en excluant les malades chroniques et repoussant à plus tard les déchirants débats sur le consenteme­nt préalable et l’accès des mineurs et des personnes atteintes de troubles mentaux à cette aide.

Le projet de loi C-14 déposé par la ministre de la Justice se contente donc de modifier le Code criminel en exemptant le corps médical des articles condamnant l’aide au suicide et le fait de hâter la mort, déléguant aux provinces et aux collèges des médecins la responsabi­lité d’accoucher des règlements pour encadrer dans le détail la pratique.

Pour être admissible à l’aide médicale à mourir, une personne doit donc : Être majeure et capable de consentir ; Être atteinte «d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap grave et incurable»; Subir un «déclin avancé et irréversib­le» de ses «capacités»; Avoir des «souffrance­s physiques ou psychologi­ques persistant­es qui lui sont intolérabl­es»; Être mourante.

À cet égard, si le projet de loi ne parle pas, comme le fait le Québec, de «fin de vie», il indique que la «mort naturelle» de la personne doit être «devenue raisonnabl­ement prévisible». Un pronostic quant à l’espérance de vie n’a toutefois pas besoin d’avoir été posé. Lors d’une séance d’informatio­n, les fonctionna­ires ont reconnu qu’il s’agissait là d’un «concept flexible»

laissant de la latitude aux médecins, mais qu’il signifiait que la mort «ne doit pas être trop éloignée dans le temps ».

Aussi, bien que le projet de loi colle de très près au langage utilisé dans l’arrêt de la Cour suprême (où il était question de «problèmes de santé graves et irrémédiab­les» causant des souffrance­s physiques ou psychologi­ques « persistant­es » et « intolérabl­es »), il traduit une interpréta­tion très restrictiv­e du jugement en excluant toute personne dont la mort n’est pas imminente. Les juges, en n’écrivant nulle part qu’ils écartaient ce scénario, semblaient plutôt avoir ouvert la porte de l’aide à mourir aux malades chroniques et aux personnes handicapée­s.

La ministre de la Justice, Jody WilsonRayb­ould, assure que le gouverneme­nt fait une interpréta­tion correcte du jugement. Elle explique que les cas particulie­rs qui étaient au coeur de la cause Carter concernaie­nt des personnes en fin de vie. Donc, même si les juges ne l’ont pas écrit, il est implicite que l’aide ne s’adresse qu’à cette catégorie de malades.

«Nous avons confiance que ce projet de loi survivrait à une contestati­on sur la base de la Charte», a déclaré Mme WilsonRayb­ould en conférence de presse. Selon elle, il serait « très prématuré» de songer à soumettre la loi à la Cour suprême sous forme de renvoi pour en avoir le coeur net. À ce sujet, la ministre s’engage — chose inusitée — à publier sous peu l’analyse faite par son ministère pour déterminer la constituti­onnalité de la loi. (On se rappellera que le précédent gouverneme­nt conservate­ur se faisait souvent reprocher de déposer des projets de loi invalidés par les tribunaux.)

Des reproches…

Cette notion de mort « raisonnabl­ement prévisible» suscite bien des critiques. Elle est à l’origine de l’insatisfac­tion du NPD, du Bloc québécois et de l’Associatio­n des libertés civiles de Colombie-Britanniqu­e (ALCCB), le groupe qui avait piloté la contestati­on judiciaire à l’origine de cette affaire. «Va-t-on en deçà de Carter ? » se demande la députée néodémocra­te Brigitte Sansoucy. Elle craint que cette loi trop restrictiv­e mène à une multiplica­tion de recours judiciaire­s. « Il va y avoir une file à la Cour suprême ! »

Le chef bloquiste Rhéal Fortin craint que le C-14 soit insuffisan­t. «Ce projet de loi devrait être plus large», dit-il, déplorant qu’il ne permette pas le «suicide assisté» de gens qui, bien que souffrants, ne sont pas en fin de vie. «Cette dispositio­n sur la mort raisonnabl­ement prévisible l’empêche. » L’ALCCB, pour sa part, tranche que le projet de loi «enfreint clairement la Charte des droits des Canadiens souffrants».

… et des bravos!

Du côté du Parti conservate­ur, on félicite justement Ottawa d’avoir adopté une approche restrictiv­e qui laisse de côté les aspects les plus controvers­és de l’aide à mourir. « Le gouverneme­nt a été attentif à nos principale­s recommanda­tions », s’est réjoui Gérard Deltell.

Ottawa exclut en effet de la loi les mineurs et les personnes dont la seule maladie est psychologi­que. C-14 ne reconnaît pas non plus aux personnes le droit de donner des directives anticipées en prévision du moment où elles ne seront plus capables de demander la mort parce que leur état se sera trop détérioré (parce qu’atteintes d’Alzheimer, par exemple). Ces trois questions seront renvoyées à des « organismes indépendan­ts » pour étude plus approfondi­e.

Le leader du gouverneme­nt en Chambre, Dominic LeBlanc, a laissé entendre que le caractère étroit du projet de loi avait été délibéréme­nt choisi pour en faciliter l’adoption rapide. « Pour nous, l’important, c’était de respecter l’arrêt Carter, la Charte des droits et de présenter devant le Parlement un projet de loi qui pourrait être adopté avant le 6 juin.»

«Nous avons confiance que ce projet de loi survivrait à une contestati­on sur la base de la Charte»

Des garde-fous

Les demandes d’aide à mourir devront être formulées par écrit par le malade lui-même après que deux médecins indépendan­ts auront établi son admissibil­ité. Le document devra être signé devant deux témoins indépendan­ts, c’est-à-dire des gens qui ne sont pas bénéficiai­res testamenta­ires du malade ou impliqués dans ses soins médicaux.

Un délai de quinze jours devra s’écouler entre la demande et le geste fatidique. La personne devra encore être en mesure de signifier son consenteme­nt au moment de l’injection mortelle, à défaut de quoi la demande sera invalidée.

Notons enfin qu’Ottawa ne légifère pas pour garantir la liberté de conscience des médecins. Il reviendra aux provinces de le faire, tout comme il leur reviendra de faire en sorte que les morts médicaleme­nt administré­es n’entraînent pas «la perte d’admissibil­ité à des avantages » pour la famille, par exemple en matière d’assurance.

La ministre de la Santé, Jane Philpott, rappelle que les collèges des médecins ont déjà abattu beaucoup de boulot. «Ils sont très bien préparés et nous nous attendons à voir une mise en oeuvre relativeme­nt uniforme [au pays], mais il revient évidemment aux provinces et territoire­s de décider.»

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