Couillard tente de reconstruire le triangle Bourassa. Une chronique de Michel David.
Après un début d’année catastrophique qui lui a fait perdre le contrôle de l’ordre du jour politique avant d’aboutir au piètre score du PLQ à l’élection partielle de lundi dernier dans Chicoutimi, le premier ministre Couillard a entrepris de reconstruire le triangle qui servait de guide à Robert Bourassa.
La première pointe du triangle correspondait au développement économique, cheval de bataille traditionnel des libéraux. C’était aussi la grande promesse du PLQ durant la dernière campagne électorale. Son retour au pouvoir allait ramener comme par magie la prospérité que le PQ avait réussi à chasser en tout juste 18 mois.
Pendant deux ans, la seule feuille de route qu’on a semblé suivre a été celle de l’austérité, sous la direction inflexible de l’ancien président du Conseil du trésor, Martin Coiteux. Une fois l’équilibre atteint, c’est comme si le gouvernement avait perdu sa boussole. Jusqu’à sa mutation aux Transports, le ministre de l’Économie, Jacques Daoust, n’a jamais réussi à accoucher d’un quelconque plan, et l’engagement de créer 250 000 emplois en cinq ans est vite apparu comme une lubie.
Visiblement en rattrapage, sa successeure, Dominique Anglade, a mis les bouchées triples jeudi, présentant simultanément le Plan stratégique d’Investissement Québec, celui de son propre ministère et celui du Centre de recherche industrielle du Québec (CRIQ).
Le nouveau mot d’ordre est l’«innovation». Il suffisait d’y penser, n’est-ce pas? Les objectifs, comme le nombre de nouveaux emplois, demeurent nébuleux, mais le gouvernement a enfin un «plan» et Justin Trudeau a démontré au cours de la dernière campagne fédérale que le mot fait toujours effet.
Jusqu’à présent, M. Couillard était demeuré insensible à la deuxième pointe du triangle bourassien, c’est-à-dire la défense de l’identité québécoise. Le spectaculaire recul sur les cibles d’immigration annoncé par la ministre Kathleen Weil traduit une prise de conscience de l’inquiétude causée par la difficulté pour une société d’aussi petite taille, placée dans un contexte culturel difficile, d’intégrer un nombre d’immigrants qui, en proportion, est très supérieur à celui qu’accueillent la France ou les États-Unis.
Mme Weil a eu beau jouer sur les mots, le premier ministre avait très clairement indiqué que l’intention du gouvernement était de faire passer le nombre de nouveaux arrivants de 50000 à 60000 dès l’an prochain. Toute interrogation sur la capacité d’intégration constituait à ses yeux un coupable encouragement à l’intolérance.
La semaine prochaine, on expliquera également la façon dont le gouvernement entend s’y prendre pour forcer les grandes bannières commerciales, comme Walmart, Costco ou Best Buy, à contribuer au visage français du Québec. La solution retenue semblera sans doute trop timide aux yeux de plusieurs, mais les libéraux nous ont habitués à moins de français que plus au cours des dernières décennies.
On ne peut pas dire que la paix sociale, qui occupait la troisième pointe du triangle, ait été sérieusement menacée depuis deux ans. Robert Bourassa avait connu bien pire en son temps et les manifestations contre l’austérité n’ont rien eu de comparable au Printemps érable de 2012.
Le désordre est souvent généré par le sentiment qu’un gouvernement a perdu sa légitimité, et rien n’y contribue davantage que la perte de confiance dans son intégrité. C’est pourquoi M. Bourassa avait placé cette dernière au centre du triangle, dont elle constituait le ciment.
La tempête provoquée par l’affaire Hamad, dont M. Couillard avait très mal évalué l’impact, témoigne à quel point son gouvernement demeure vulnérable à ce chapitre. L’entendre prendre la défense de Julie Boulet, qu’il a réintégrée dans son cabinet malgré sa comparution désastreuse devant la commission Charbonneau, était du plus mauvais effet.
Il se serait certainement passé de voir Jean Charest, qu’il tente désespérément de faire oublier, s’afficher en public et claironner qu’il avait dirigé un gouvernement «intègre et honnête». M. Couillard, qui en faisait partie, s’est même retrouvé dans l’obligation de s’en porter garant.
Le premier ministre a senti le besoin de démontrer concrètement sa sincérité en se disant ouvert à un allongement du délai de prescription applicable aux infractions à la Loi sur le financement des partis politiques, qui est actuellement de cinq ans.
Quand François Legault a suggéré de l’étendre à vingt ans, le leader parlementaire du gouvernement, Jean-Marc Fournier, a manifesté toute la mauvaise foi dont il est capable pour refuser d’aller au-delà des sept ans recommandés par la commission Charbonneau, ce qui exclurait les années où le PLQ semble avoir profité le plus de financement illégal. Sans avancer de délai précis, M. Couillard se dit maintenant prêt à en discuter. Il aurait intérêt à se montrer très ouvert.
Pendant deux ans, la seule feuille de route qu’on a semblé suivre a été celle de l’austérité