Le Devoir

Malaise autour de l’autoadmini­stration

- AMÉLIE DAOUST-BOISVERT

Le projet de loi fédéral ouvre la porte, Québec la refermerai­t immédiatem­ent. Pour le Collège des médecins du Québec (CMQ), pas question de laisser les patients partir à la maison avec une prescripti­on létale pour se l’administre­r sans supervisio­n médicale.

Le «modèle de l’Oregon, c’est l’histoire d’horreur que nous ne pouvons pas tolérer au Québec», tranche le secrétaire du CMQ, le Dr Yves Robert. Dans cet État américain, les patients ont accès à l’aide au suicide sous forme d’une prescripti­on d’une substance mortelle qu’il leur est possible de prendre au moment qui leur convient.

Cet aspect de la loi interpelle aussi le gériatre David Lussier. «Ce n’est pas l’idée de la mort dans la dignité sous-entendue dans la loi, dit-il. De plus, ça met des substances létales en circulatio­n. Ça règle plutôt le problème des médecins qui ne se sentent pas à l’aise de l’administre­r», observe le membre de la Commission sur les soins de fin de vie.

Pour Yves Robert, l’affaire est limpide: le projet de loi fédéral « n’oblige pas les provinces à y donner accès». «C’est le Collège qui gère l’exercice profession­nel des médecins, et pour nous, il est clair que l’aide médicale à mourir ne peut se faire qu’en présence d’un médecin », dit-il.

Selon lui, cette manière de faire ferait l’affaire de «médecins qui voudraient s’en laver les mains». «Ça me fâche énormément, car ça va totalement à l’encontre de l’esprit de la loi, qui est d’offrir un soin à un patient et de l’accompagne­r jusqu’aux derniers moments.»

Il relate que l’expérience de l’Oregon a donné lieu à des dérapages, notamment des personnes pour qui la mort n’est pas venue comme prévu et qui ont dû être admises à l’hôpital d’urgence. « De plus, qu’est-ce qui nous dit que cette ordonnance serait consommée par la bonne personne au bon moment? C’est une question de sécurité », dit le Dr Robert.

Un cheminemen­t graduel

Comment la loi fédérale pourrait-elle changer la façon dont l’aide médicale à mourir est pratiquée au Québec? Le Dr Robert, comme d’autres observateu­rs, voit d’abord une ouverture plus grande en matière d’accès. «Au Québec, nous avions exclu d’ouvrir l’aide médicale à mourir pour la seule raison d’avoir un handicap, car il faut garantir la protection des personnes vulnérable­s », explique-t-il. Mais le projet de loi fédéral retient le handicap comme critère d’admissibil­ité, à condition de satisfaire les autres critères, dont ceux de souffrance­s intolérabl­es et de mort raisonnabl­ement prévisible. «En principe, une personne vivant avec un handicap qui aurait aussi une affection mettant sa vie en péril, comme une infection, deviendrai­t admissible, interprète le Dr Robert. Il y a là une zone grise qui était d’emblée exclue dans la loi québécoise.»

Le concept de mort prévisible, par rapport à celui de fin de vie utilisé dans la loi québécoise, peut aussi élargir l’admissibil­ité des patients. «On peut penser qu’une personne avec une sclérose latérale amyotrophi­que pourrait devenir admissible avec la loi fédérale », dit le Dr Robert.

Le projet de loi fédéral ouvre aussi la porte à l’administra­tion de l’aide à mourir par les infirmière­s praticienn­es spécialisé­es. Le Dr Robert ne croit pas que Québec doive l’autoriser pour autant. «Nous avons assez de médecins qui acceptent de le faire pour l’instant», dit-il.

Il se réjouit que le fédéral se penche, au cours des prochaines années, sur les cas beaucoup plus délicats, éthiquemen­t parlant, des personnes mineures ou inaptes, ainsi que sur les directives médicales anticipées.

Ces dernières sont au coeur des préoccupat­ions de la population sur l’aide médicale à mourir, observe le Dr George L’Espérance, qui préside l’Associatio­n québécoise pour le droit de mourir dans la dignité. «Les gens veulent savoir s’ils y auront accès advenant une maladie cognitive dégénérati­ve comme l’alzheimer. C’est ce dont on nous parle le plus, et nous devrons faire face à cette question éventuelle­ment.»

Cette manière de faire ferait l’affaire de « médecins qui voudraient s’en laver les mains», selon le Dr Robert

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