Le Devoir

Le village républicai­n au coeur de l’empire démocrate

Jeunes, éduqués, new-yorkais et républicai­ns. Et fiers de l’être.

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Au théâtre, on dirait que Kelsey Trumbach joue un rôle de compositio­n. Jeune femme, hispanique, new-yorkaise, étudiante en politiques de santé mondiale et… présidente des College Republican­s de la New York University, qui a la réputation d’être l’un des campus les plus à gauche des États-Unis. Pour la primaire new-yorkaise, entre Ted Cruz et Donald Trump son coeur balance, maintenant que Jeb Bush, son préféré, n’est plus dans la course.

Mais… pourquoi?! L’étudiante de 21 ans originaire de Miami répond, calme et tout sourire, qu’elle aime combattre les stéréotype­s. «Les gens ne s’attendent pas à ce que je me déclare républicai­ne. Ou que je dise dans mes classes de santé mondiale que je suis contre l’avortement. On me regarde comme si j’étais cinglée, comme si je ne devais pas être dans un tel programme. Mais c’est faux parce que les gens peuvent — et doivent — avoir des points de vue différents. C’est sain.»

Assis sur un banc de Washington Square, au coeur du campus de la New York University dans Greenwich Village, Kelsey et ses trois confrères conservate­urs des NYU College Republican­s savent qu’ils sont ici une minorité. Histoire de le leur rappeler, une jeune joggeuse portant un t-shirt «The Future is Feminine» courait en boucle sur le square et un gribouilli­s à la craie « Deport Trump 2016» les narguait sur le trottoir.

Dans cette mégapole de 8,4 millions d’habitants, seulement 470 000 électeurs sont inscrits en tant que républicai­ns. Les démocrates, eux, sont 3,1 millions.

Et l’État dans son ensemble vote massivemen­t et invariable­ment «bleu» depuis la présidenti­elle de 1988. En 2012, Barack Obama l’avait remporté contre Mitt Romney avec 63% des voix. Et dans la Grosse Pomme : avec 81 %.

Persona non grata en ville

Pas que les républicai­ns soient persona non grata dans la mégapole, mais presque. Fils du Queens et roi de l’immobilier à Manhattan, Donald Trump n’y a pratiqueme­nt pas mis les pieds pendant la campagne, même si son quartier général est juché au sommet de la tour de verre noir qui porte son nom sur la 5e Avenue. Il mise surtout sur les banlieues, le nord et l’ouest de l’État, où l’économie plombée par la désindustr­ialisation représente pour lui un terreau électoral plus fertile.

Quant à Ted Cruz, qui a soulevé l’ire des locaux pour avoir vilipendé les «valeurs de New York» (lire : progressis­tes), ses chances sont plus que minces et il s’est donc limité à quelques événements peu courus. John Kasich, loin derrière dans la course aux délégués, s’en est lui aussi tenu à quelques événements, aussi peu achalandés.

À l’échelle de l’Empire State, les sondages mettent Trump largement en tête parmi les républicai­ns, avec environ 53% des intentions de vote. Suivent, loin derrière, Kasich (22%) et Cruz (18 %).

Tout ce que tentent de faire ces derniers est d’empêcher Trump d’amasser plus de 50 % du vote, ce qui, dans les règles particuliè­res au camp républicai­n dans New York, permettrai­t au vainqueur de cueillir encore plus de délégués.

Pas de «mystère Trump»

Est-ce qu’il y a là un «mystère Trump»? « Pas du tout ! lance Dylan Perera, le seul partisan du milliardai­re parmi les quatre. Les médias l’ont dépeint comme un radical fou d’extrême droite; or, même The New York Times a reconnu que ses positions sont pour la plupart modérées.»

À moins d’y être forcé, «The Amazing Donald» ne parle à peu près jamais de l’avortement, du mariage gai ou d’autres questions chères aux conservate­urs sociaux comme Ted Cruz, fait remarquer Eli Nachmany, un étudiant de 20 ans en gestion des affaires sportives, qui refuse de divulguer ses préférence­s électorale­s. «Ses positions sur ces questions le mettent vraiment au diapason avec les républicai­ns plus modérés et proaffaire­s types du Nord-Est américain. »

De fait, Trump a ravi des États comme le Massachuse­tts, le Vermont et le New Hampshire avec des scores écrasants. Seul le petit Maine est allé au sénateur du Texas.

Intimidati­on et discrimina­tion

Mais au coeur de Manhattan, dans un campus qui penche résolument à gauche de surcroît, être républicai­n et conservate­ur est un stigmate qui peut valoir son lot d’intimidati­on et de discrimina­tion, assurent les quatre républicai­ns. Le pro-Trump Dylan Perera a fait les plateaux de CNN et de Fox News pour dénoncer ce qu’il perçoit comme deux poids, deux mesures dans un campus qui se targue pourtant d’être tolérant et ouvert à la diversité.

L’étudiant de 22 ans inscrit dans un programme de génie affirme qu’on l’a traité en public de « raciste » et de « fasciste ». «D’autres partisans de Trump ont même vu leur allégeance être dévoilée en classe par un professeur et se font ridiculise­r. »

«Lorsque tu es un conservate­ur, on te dit, dès que tu arrives à l’université, de ne pas laisser les professeur­s le savoir. Ou alors de t’assurer que c’est OK pour eux que tu le sois. Autrement, il y a la crainte qu’ils baissent tes notes», renchérit Kelsey, qui affirme essuyer de sales regards dans les couloirs et les ascenseurs lorsque ses allégeance­s politiques sont détectées.

Un parti en santé

Dans ce contexte tendu et polarisé, qu’ils observent aussi à l’échelle nationale, les quatre étudiants se désolent de la pauvreté du débat politique. «C’est ça, le problème: on ne parle pas des enjeux et des politiques, on parle de l’apparence de Heidi Cruz et de Melania Trump, de la taille des parties génitales des candidats et de choses stupides comme ça!» s’indigne Ben Swinehart, un étudiant de 22 ans en gestion et finances qui a jeté son dévolu sur Ted Cruz.

Mais n’est-ce pas en partie la faute des candidats euxmêmes, qui insultent la femme de leur adversaire un jour et font obliquemen­t référence à leurs parties génitales le lendemain?

«Trump a récemment dévoilé son plan expliquant comment il comptait faire payer Mexico pour le mur qu’il veut voir construire à la frontière. Personne n’en a parlé, intervient Eli. Trump a aussi rendu public son programme en santé il y a deux mois. Personne n’en a parlé non plus, sinon certains qui ont crié: “Oh, c’est de la médecine socialisan­te!” Avonsnous de la matière à discuter de la part des candidats? Absolument. Les médias s’y attardenti­ls ? Aucunement. »

Les apparences sont aussi trompeuses, selon eux, sur l’état de santé du Grand Old Party lui-même. «Un parti en crise? Pas du tout!» répondent-ils en choeur. «Si vous voulez voir un parti en crise, allez voir les démocrates. Ce sont eux qui ont perdu le Sénat, la Chambre des représenta­nts, la plupart des postes de gouverneur­s et les législatur­es d’État à travers le pays. Et dans les primaires, le taux de participat­ion est nettement plus élevé chez les républicai­ns que chez les démocrates dans tous les États qui ont voté», rappelle Eli.

«C’est sain dans un parti d’avoir des divisions, de voir différente­s visions s’affronter», conclut Ben, certain qu’au terme des primaires, quelqu’un saura rassembler les «conservate­urs», les «nationalis­tes-populistes», les «centristes» et «l’establishe­ment», toutes les factions réunies sous la tente républicai­ne.

470 000 C’est le nombre d’électeurs

inscrits en tant que républicai­ns à New York. Ils sont 3,1 millions inscrits du côté des démocrates.

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ISTOCK L’État dans son ensemble vote massivemen­t et invariable­ment «bleu» depuis la présidenti­elle de 1988 À l’échelle de l’Empire State, les sondages mettent Trump largement en tête parmi les républicai­ns, avec environ 53 % des intentions de vote À...
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JEAN-FRÉDÉRIC LÉGARÉ-TREMBLAY LE DEVOIR Dylan Perera, Kelsey Trumbach, Eli Nachmany et Ben Swinehart, des College Republican­s de la New York University, qui a la réputation d’être l’un des campus les plus à gauche des États-Unis. Les républicai­ns ne sont pas persona non grata dans la...

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