Le Devoir

Manon Cornellier sur l’aide médicale à mourir en éditorial

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Le gouverneme­nt fédéral a écarté les propositio­ns les plus controvers­ées du comité parlementa­ire spécial sur l’aide médicale à mourir, préférant avec justesse prendre le temps de les approfondi­r. Il a toutefois fait preuve d’un excès de prudence en excluant les malades graves qui ne sont pas près de mourir. En plus de s’écarter de la décision de la Cour suprême, son geste risque de provoquer de nouvelles contestati­ons judiciaire­s.

C’était le soulagemen­t à Québec jeudi même si Ottawa n’a pas copié sa Loi concernant les soins de fin de vie. Le projet de loi fédéral permet le suicide assisté, le recours à des infirmière­s clinicienn­es et le droit d’invoquer un handicap pour solliciter l’aide médicale à mourir. Mais sur l’essentiel, les deux gouverneme­nts vont dans le même sens. Les deux veulent réserver l’aide médicale à mourir aux personnes en phase terminale ou dont la mort approche. En bref, le régime fédéral exigerait que la personne soit majeure, compétente et consentant­e. Elle devrait souffrir de « problèmes de santé graves et irrémédiab­les», donc être atteinte d’une «maladie ou d’un handicap grave» qui «lui cause des souffrance­s physiques ou psychologi­ques persistant­es intolérabl­es qui ne peuvent être apaisées» d’une manière qu’elle juge acceptable.

Jusque-là, le projet de loi C-14 colle à la décision de la Cour suprême, mais il s’en écarte quand il ajoute que l’état de la personne doit connaître «un déclin avancé et irréversib­le de ses capacités » et il faut que «sa mort naturelle [soit] raisonnabl­ement prévisible compte tenu de l’ensemble de sa situation médicale». Avec cette exigence, Kay Car ter, l’une des femmes à l’origine du recours devant la Cour suprême, n’aurait même pas pu se prévaloir de l’aide permise par Ottawa, puisqu’elle souffrait d’un mal chronique paralysant et douloureux, mais pas fatal.

Ces restrictio­ns sont injustifié­es et ne font qu’ouvrir la voie à de nouveaux recours juridiques. Ce n’est pas par insoucianc­e que la Cour suprême n’a pas limité l’aide à mourir aux malades en phase terminale. Elle notait dans son jugement que des gens atteints de maladies chroniques ou de handicaps graves, qui n’en peuvent plus et souhaitent mourir, décident de mettre fin à leurs jours plus tôt qu’ils le souhaitent, car ils craignent d’en devenir incapables plus tard. D’autres sont poussés à des extrêmes cruels pour en finir.

Cet effet pervers se fait déjà sentir au Québec. La Presse relatait récemment le cas pathétique d’une femme souffrant de sclérose en plaques qui s’est laissée mourir de faim et de soif, au prix d’affreuses douleurs. Radio-Canada faisait état du cas de Jean, un homme dont le handicap s’aggravait et qui souhaitait se prévaloir de la loi, ce qu’on lui a refusé. Il a alors cessé de se nourrir et de boire, jusqu’à atteindre un point de non-retour. Ce n’est qu’à ce moment qu’il a obtenu l’aide à mourir qu’il demandait.

On ne peut toutefois reprocher au gouverneme­nt d’avoir fait preuve de prudence à l’endroit des recommanda­tions du comité spécial concernant le consenteme­nt anticipé, l’aide médicale à mourir pour les mineurs et les personnes invoquant des troubles mentaux. On y arrivera peut-être, mais ces options soulèvent beaucoup trop de résistance pour l’instant. Au Québec, où le débat a duré des années, les parlementa­ires l’ont constaté tout au long de leurs délibérati­ons. Or, au fédéral, ni le comité spécial ni le gouverneme­nt n’ont eu le temps d’explorer les enjeux complexes soulevés par ces trois options, car l’échéancier imposé par la Cour était trop serré. Loi ou pas, le jugement s’appliquera à partir du 6 juin.

Le gouverneme­nt s’est engagé, dans le projet de loi et en conférence de presse, à explorer ces questions. Il parle toutefois de confier le boulot à des groupes indépendan­ts (notez le pluriel) dont le travail éclairerai­t la révision quinquenna­le de la loi.

Rien ne justifie de compliquer ce processus. Une seule étude menée par un comité de parlementa­ires, comme à Québec, suffirait et facilitera­it la tâche aux groupes et citoyens concernés. Le comité devrait avoir suffisamme­nt de temps pour tenter de cerner des consensus, mais y mettre cinq ans servirait seulement les intérêts des gens désireux de repousser le débat plutôt que de répondre dès que possible à ceux qui souffrent et attendent.

Car il faudra bien un jour pouvoir expliquer à un jeune de 17 ans, mature, mais malade et souffrant le martyre, pourquoi il doit attendre ses 18 ans pour obtenir l’aide à mourir qu’il souhaite.

mcornellie­r@ledevoir.com

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MANON CORNELLIER

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