Le Devoir

L’Université de Montréal saisie par la mondialisa­tion

- ÉRIC MARTIN Chercheur associé à l’Institut de recherche et d’informatio­ns socio-économique­s (IRIS)

L’Université de Montréal vient d’engager une opération de «transforma­tion institutio­nnelle» qui représente, selon la direction, la plus importante restructur­ation de l’institutio­n depuis 40 ans. Or, les expérience­s hors Québec qui inspirent l’université soulèvent des inquiétude­s quant au sort qui sera réservé à la liberté de l’université et de sa mission. En effet, l’université, en s’inscrivant dans le nouveau «marché mondial» de l’enseigneme­nt, ne fait pas que s’internatio­naliser: elle se commercial­ise.

Des modèles hors Québec

Parmi les modèles qui inspirent la restructur­ation à l’UdeM, citons l’Université du Manitoba, qui souhaite fermer sept facultés d’ici 2017. En France, les université­s sont aussi poussées à centralise­r leurs opérations et à fusionner. Le financemen­t de la recherche va au petit nombre d’université­s qui réussissen­t les concours des «initiative­s d’excellence» (IDEX). En Grande-Bretagne, le financemen­t basé sur la performanc­e a permis d’en finir avec l’idée selon laquelle les université­s du territoire devaient être traitées également. Les 24 université­s «d’élite» du Russell Group, qui se qualifient de «joyaux de la couronne», souhaitent ouvertemen­t un système à deux vitesses concentran­t le financemen­t dans les université­s de «tête».

L’objectif de ces restructur­ations est d’adapter l’université pour la concurrenc­e internatio­nale dans un nouveau «marché» mondial de l’enseigneme­nt supérieur. L’université se détache de sa communauté d’origine et elle se détourne des idéaux de démocratie interne, d’indépendan­ce et de service public qui l’animaient auparavant pour se concevoir plutôt comme une entreprise sans attache devant d’abord se comporter en stratège sur la scène mondiale. Or, il ne s’agit pas seulement d’intensifie­r les relations avec d’autres pays du monde. Il s’agit de réorganise­r l’université pour qu’elle correspond­e à un modèle que l’on pourrait appeler utilitaire et commercial, et que la Banque Mondiale appelle «université de classe mondiale».

Les université­s «de classe mondiale»

Il n’y a pas que les gouverneme­nts qui ont été dépassés par la mondialisa­tion et appelés à se soumettre aux exigences des nouveaux marchés internatio­naux. Il s’est également constitué un «marché» de l’enseigneme­nt supérieur où les université­s ancienneme­nt membres de systèmes d’éducation nationaux sont aujourd’hui encouragée­s à venir se comporter comme des «fournisseu­rs» privés et des exportateu­rs d’enseigneme­nt. Les grandes institutio­ns étasunienn­es et britanniqu­es servent de standard internatio­nal hégémoniqu­e que les autres université­s doivent chercher à imiter pour monter dans des classement­s subjectifs (ne se basant souvent sur aucun critère scolaire ou scientifiq­ue sérieux). Or, pour y arriver, il ne s’agit pas seulement de se mettre à l’anglais, mais encore d’en venir à concevoir l’université moins comme une institutio­n publique que comme une organisati­on entreprene­uriale.

L’université dite de « classe mondiale » en est d’abord une de recherche qui vise des transferts technologi­ques vers l’entreprise et qui multiplie les partenaria­ts avec celle-ci. La pertinence du savoir est calculée par les retombées économique­s ou technologi­ques immédiatem­ent mesurables qu’il génère. La nouvelle université vise à attirer un maximum de cerveaux à l’internatio­nal, à maximiser ses revenus en recherche et à produire des diplômés qui correspond­ent aux besoins des marchés. Ce genre de mentalité utilitaire et commercial­e est appelé à servir de nouvelle définition d’une «qualité» éducative réduite à l’étroitemen­t « utile ».

Les pressions internatio­nales actuelles mettent en péril le statut de bien ou de service public des université­s pour en faire des organisati­ons modelées sur le fonctionne­ment et les buts de l’entreprise transnatio­nale. Il faut remarquer que la reconversi­on mondialist­e de l’UdeM survient au moment où l’UQAM, tête de pont du réseau des université­s publiques d’État du Québec, est secouée par une crise majeure.

Pour l’heure, il semblerait que le seul horizon soit l’arrimage des université­s au marché et à la mondialisa­tion. Plutôt que de chercher à imiter les Ivy League et Oxford de ce monde, plutôt que de brancher sans y penser les université­s sur la mondialisa­tion marchande pour finir ici, comme en Grande-Bretagne, avec un système à deux vitesses, il faudrait que se tienne un débat public véritable sur l’avenir du système national d’éducation publique au Québec. Comme le disait le sociologue Fernand Dumont, «ou bien nous ferons de nos université­s de piètres répétition­s ou de ridicules modèles réduits des institutio­ns les plus prestigieu­ses [ou les plus riches] d’alentour; ou bien nous déciderons que c’est en revenant aux intentions fondamenta­les de l’apprentiss­age et pour un pays comme celui-ci que les objectifs doivent être formulés».

Newspapers in French

Newspapers from Canada