Le Devoir

Relancer l’économie avec l’«hélicoptèr­e monétaire»

- Éric Desrosiers

Au contraire des gouverneme­nts, les banquiers centraux ne manquent pas d’idées pour essayer de stimuler l’économie, bien que certaines d’entre elles aient été encore récemment impensable­s.

On s’imagine la scène. Des hélicoptèr­es arrivent au petit matin au-dessus d’une ville. Pilotés par des messieurs très sérieux en complets trois-pièces, ils déversent depuis les airs leurs chargement­s de billets de banque fraîchemen­t imprimés sur la population qui s’empresse de les dépenser chez les commerçant­s du coin.

La métaphore du «largage d’argent par hélicoptèr­e», ou de «l’hélicoptèr­e monétaire», a été inventée il y a presque 50 ans par l’un des penseurs du néolibéral­isme, l’économiste américain Milton Friedman, pour mettre en garde contre les dérives de l’interventi­onnisme étatique et les dangers de l’inflation. Elle est évoquée de plus en plus souvent depuis quelques semaines par un tas de gens n’ayant pas la réputation d’être de gauche, dont le président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Drahi, pas pour s’en moquer, mais comme nouvel outil de stimulatio­n économique dont auront peut-être besoin les banques centrales.

Pédaler de plus en plus vite

Depuis l’effondreme­nt de Wall Street et la Grande Récession, ces banques ont d’abord réduit à zéro leurs taux d’intérêt à court terme, puis se sont engagées à ne pas les remonter avant un certain temps, puis ont adopté des programmes d’achat d’obligation­s (assoupliss­ement quantitati­f). Comme si cela ne suffisait pas, la BCE, la Banque du Japon, ainsi que d’autres ont récemment commencé à offrir à leurs déposants (les banques commercial­es) ce qu’on n’aurait jamais imaginé possible, c’est-àdire des taux d’intérêt négatifs.

Mais tout cela ne suffira peut-être pas. Les perspectiv­es économique­s se sont non seulement encore dégradées ces derniers mois, a constaté cette semaine le Fonds monétaire internatio­nal (FMI), mais un autre ralentisse­ment nous rapprocher­ait dangereuse­ment d’une nouvelle récession mondiale.

Le FMI voudrait que les gouverneme­nts mettent en branle des réformes structurel­les de leurs économies en matière notamment d’assoupliss­ement des règles sur la main-d’oeuvre, de libéralisa­tion du commerce, de formation des travailleu­rs et d’encouragem­ent de l’innovation. À plus court terme, on voudrait qu’ils profitent des faibles taux d’intérêt pour investir dans les infrastruc­tures physiques et humaines (routes, écoles, Internet…). Mais voilà. Plusieurs gouverneme­nts n’osent pas en faire plus de peur, à tort ou à raison, de trop s’endetter.

Alors on se tourne de nouveau vers les banques centrales et l’on craint qu’elles soient rendues à bout de munitions. «Elles sont plutôt comme un cycliste, qui doit pédaler de plus en plus vite juste pour maintenir la même vitesse, face à une côte toujours plus raide», déclarait le mois dernier en entrevue au Monde l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mervyn King. Mais elles ne manquent pas de nouvelles idées.

Ramener la planche à billets

Si tout ce qui a été mis en place ne suffit pas, ou si une nouvelle crise survient, elles pourraient par exemple, dit-on, taxer les liquidités des banques pour les forcer un peu plus à ne pas les garder, et à les investir dans l’économie. Elles pourraient aussi élargir leurs programmes d’assoupliss­ement quantitati­f à d’autres types d’actifs comme des actions de compagnies ou des immeubles. Et puis, elles pourraient recourir au fameux largage par hélicoptèr­e.

La mesure que l’on a en tête serait évidemment beaucoup moins spectacula­ire que l’histoire le dit, expliquait la semaine dernière l’exprésiden­t de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke, dans son blogue au Brookings Institute. Il s’agirait d’un programme temporaire de dépenses publiques ou de baisses d’impôt financées non pas à partir des revenus ou de la dette du gouverneme­nt, mais de liquidités créées par la banque centrale à cette seule fin.

En plus de laisser intact le bilan des gouverneme­nts, cette mesure de relance aurait l’avantage d’avoir un effet rapide dans l’économie et de ne pas devoir passer par l’intermédia­ire des banques. Payée avec la planche à billets, elle pousserait à terme l’inflation à la hausse, soit très exactement ce qu’essaient de faire les banques centrales depuis des années sans succès, en plus d’inciter les investisse­urs à se dépêcher de profiter des taux d’intérêt ultrabas avant qu’ils commencent à remonter. Rien n’oblige à ce que l’aventure parte en spirale inflationn­iste, a défendu le mois dernier l’ancien chef de l’autorité financière britanniqu­e, Adair Turner.

Tout cela n’en est encore qu’à l’étape de la réflexion d’experts, précise-t-on. On entrevoit déjà des obstacles légaux à la participat­ion des banques centrales dans les politiques publiques, mais aussi des problèmes de légitimité démocratiq­ue.

Il est quand même fascinant de voir tous ces représenta­nts d’une certaine orthodoxie monétaire en appeler à toujours plus d’interventi­onnisme des pouvoirs publics et à relativise­r la menace de dérapage inflationn­iste.

Cela illustre le chemin parcouru depuis la Grande Récession. Ou alors peut-être l’ampleur des problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui et à quelles solutions extrêmes sont prêts à se résoudre nos banquiers centraux. Ou un peu des deux.

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