Relancer l’économie avec l’«hélicoptère monétaire»
Au contraire des gouvernements, les banquiers centraux ne manquent pas d’idées pour essayer de stimuler l’économie, bien que certaines d’entre elles aient été encore récemment impensables.
On s’imagine la scène. Des hélicoptères arrivent au petit matin au-dessus d’une ville. Pilotés par des messieurs très sérieux en complets trois-pièces, ils déversent depuis les airs leurs chargements de billets de banque fraîchement imprimés sur la population qui s’empresse de les dépenser chez les commerçants du coin.
La métaphore du «largage d’argent par hélicoptère», ou de «l’hélicoptère monétaire», a été inventée il y a presque 50 ans par l’un des penseurs du néolibéralisme, l’économiste américain Milton Friedman, pour mettre en garde contre les dérives de l’interventionnisme étatique et les dangers de l’inflation. Elle est évoquée de plus en plus souvent depuis quelques semaines par un tas de gens n’ayant pas la réputation d’être de gauche, dont le président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Drahi, pas pour s’en moquer, mais comme nouvel outil de stimulation économique dont auront peut-être besoin les banques centrales.
Pédaler de plus en plus vite
Depuis l’effondrement de Wall Street et la Grande Récession, ces banques ont d’abord réduit à zéro leurs taux d’intérêt à court terme, puis se sont engagées à ne pas les remonter avant un certain temps, puis ont adopté des programmes d’achat d’obligations (assouplissement quantitatif). Comme si cela ne suffisait pas, la BCE, la Banque du Japon, ainsi que d’autres ont récemment commencé à offrir à leurs déposants (les banques commerciales) ce qu’on n’aurait jamais imaginé possible, c’est-àdire des taux d’intérêt négatifs.
Mais tout cela ne suffira peut-être pas. Les perspectives économiques se sont non seulement encore dégradées ces derniers mois, a constaté cette semaine le Fonds monétaire international (FMI), mais un autre ralentissement nous rapprocherait dangereusement d’une nouvelle récession mondiale.
Le FMI voudrait que les gouvernements mettent en branle des réformes structurelles de leurs économies en matière notamment d’assouplissement des règles sur la main-d’oeuvre, de libéralisation du commerce, de formation des travailleurs et d’encouragement de l’innovation. À plus court terme, on voudrait qu’ils profitent des faibles taux d’intérêt pour investir dans les infrastructures physiques et humaines (routes, écoles, Internet…). Mais voilà. Plusieurs gouvernements n’osent pas en faire plus de peur, à tort ou à raison, de trop s’endetter.
Alors on se tourne de nouveau vers les banques centrales et l’on craint qu’elles soient rendues à bout de munitions. «Elles sont plutôt comme un cycliste, qui doit pédaler de plus en plus vite juste pour maintenir la même vitesse, face à une côte toujours plus raide», déclarait le mois dernier en entrevue au Monde l’ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mervyn King. Mais elles ne manquent pas de nouvelles idées.
Ramener la planche à billets
Si tout ce qui a été mis en place ne suffit pas, ou si une nouvelle crise survient, elles pourraient par exemple, dit-on, taxer les liquidités des banques pour les forcer un peu plus à ne pas les garder, et à les investir dans l’économie. Elles pourraient aussi élargir leurs programmes d’assouplissement quantitatif à d’autres types d’actifs comme des actions de compagnies ou des immeubles. Et puis, elles pourraient recourir au fameux largage par hélicoptère.
La mesure que l’on a en tête serait évidemment beaucoup moins spectaculaire que l’histoire le dit, expliquait la semaine dernière l’exprésident de la Réserve fédérale américaine, Ben Bernanke, dans son blogue au Brookings Institute. Il s’agirait d’un programme temporaire de dépenses publiques ou de baisses d’impôt financées non pas à partir des revenus ou de la dette du gouvernement, mais de liquidités créées par la banque centrale à cette seule fin.
En plus de laisser intact le bilan des gouvernements, cette mesure de relance aurait l’avantage d’avoir un effet rapide dans l’économie et de ne pas devoir passer par l’intermédiaire des banques. Payée avec la planche à billets, elle pousserait à terme l’inflation à la hausse, soit très exactement ce qu’essaient de faire les banques centrales depuis des années sans succès, en plus d’inciter les investisseurs à se dépêcher de profiter des taux d’intérêt ultrabas avant qu’ils commencent à remonter. Rien n’oblige à ce que l’aventure parte en spirale inflationniste, a défendu le mois dernier l’ancien chef de l’autorité financière britannique, Adair Turner.
Tout cela n’en est encore qu’à l’étape de la réflexion d’experts, précise-t-on. On entrevoit déjà des obstacles légaux à la participation des banques centrales dans les politiques publiques, mais aussi des problèmes de légitimité démocratique.
Il est quand même fascinant de voir tous ces représentants d’une certaine orthodoxie monétaire en appeler à toujours plus d’interventionnisme des pouvoirs publics et à relativiser la menace de dérapage inflationniste.
Cela illustre le chemin parcouru depuis la Grande Récession. Ou alors peut-être l’ampleur des problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui et à quelles solutions extrêmes sont prêts à se résoudre nos banquiers centraux. Ou un peu des deux.