Le Devoir

Le baby-boom de Yann Perreau

L’album que l’auteur-compositeu­r-interprète, le showman, le metteur en scène, l’homme et le papa ont lancé« en trombe / malgré le poids du monde »

- SYLVAIN CORMIER

Il n’a pas dormi de la nuit. Yann Perreau est papa une deuxième fois: encore nourrisson, le bébé, sans oublier son grand frère de trois ans «plus que grouillant». On devait se rencontrer chez Bonsound, mais pas question de laisser sa compagne seule pour aller faire l’artiste, même si son cinquième album studio, Le fantastiqu­e des astres, arrive au monde pour ainsi dire en même temps. Rendez-vous à l’appartemen­t, qu’importe l’état. Yann a les yeux bouffis, le sourire sans filtre, et le vinyle d’Aladdin Sane de Bowie qui tourne. Jean Genie au petit matin.

«Je vais te dire une chose que tous les pères savent mais qu’on ne sait pas trop quand on a été comme moi une sorte d’adolescent non-stop jusqu’à la mi-trentaine…» chuchote Yann pour ne pas réveiller le petit: «Changer des couches, ça te rend un meilleur être humain…» Il ajoute: «Y a un lâcher-prise, l’illusion que c’est toi qui décides prend le bord. Tu assumes la vie comme elle se présente. Et ça paraît dans tout ce que tu fais, et ça s’entend dans la création. Ça m’a donné envie d’être encore plus audacieux, de danser plus que jamais, d’aller plus loin dans ma folie, mais plus loin dans ma vérité aussi: il y a un ground, désormais. Je ne suis plus seul.»

Paternité oblige, on est à la fois plus conscient et plus vivant. «La tête dans les airs / Les deux pieds sur la Terre», chante Yann en intro à J’aime les oiseaux, une grande liste à la Prévert, alignant les irritants («L’avidité / Les oignons crus / Les demi-dieux / Les pseudo-experts de mes deux») mais offrant les oiseaux de toutes sortes: « Même quand ça chie sur mon capot / Ils sont la preuve que le monde est beau. » Quand on a des enfants, l’horreur n’est plus une fatalité: « Je suis politisé, je m’implique, j’écris dans Faut pas se fier aux apparences que “ce monde factice n’a plus de sens”, mais je ne peux pas seulement m’indigner, je suis trop nourri par la vie, je ne peux pas regarder mes enfants sans vouloir hurler ma joie et danser…» Il y a de l’euphorie aux commissure­s du sourire fatigué. Ce sourire danse, bondit, exulte.

Ce dont témoigne Le fantastiqu­e des astres (notez le double sens: «des astres», lu vite, c’est «désastre»), un album vivifiant et revigorant, qui se vit comme un spectacle total, l’équivalent du Yann Perreau de la scène. A-t-il jamais autant fait irruption, éruption, que dans Baby Boom et Momonna, le doublé de choc du départ, fabuleux groove électro-soul suivi par un irrépressi­ble rythme pesant et fou? « Y’a qu’une vie à vivre faut la rider», lance-t-il dans Baby Boom. «La jeune femme douce et belle / Reçut la bonne nouvelle / Dans une explosion de joie / Tellement forte qu’elle en oublia / Sa p’tite culotte dans l’cabinet / Du gynéco congolais», continue-t-il dans Momonna. Plus loin, il se permettra la proximité comme jamais auparavant, parlant à sa mère malade dans À l’amour à la mer (« J’aimerais t’emmener voir l’océan / T’emmener là où

le mal ne te suivra plus»), et puis à sa compagne bien-aimée dans T’embellis ma vie («T’es une envoyée des dieux / Ma vision du grand bleu»).

Pas de carapace qui tienne

Yann commente. « J’avais toujours été très pudique, pas trop dans cette zone des émotions. Et puis il y a eu Michel Rivard qui m’a dit un jour qu’il fallait donner la chance à ce qu’il y avait sous la carapace. Et il y a eu les Hommes rapaillés. Et il a eu les enfants, et le quotidien: tout ça m’a rendu plus sensible, sans complaisan­ce. J’ai l’impression d’être devenu plus complet dans ma vie, et dans ma propositio­n artistique. Et Tante Blanche m’a poussé fort à oser tout…»

Tante Blanche, c’est «le beatmaker» jamais nommé, qui a fourni la plupart des musiques et réalisé l’album. Le catalyseur. « Je ne le connaissai­s pas, j’aimais ce qu’il faisait en design sonore, dans les pubs, il est venu ici, on a écouté des vinyles, on a pris le temps de développer une complicité, une manière de faire. Avec lui, je me suis abandonné pour la première fois, il voulait que je crie, j’ai crié, il voulait que je sorte de ma voix confortabl­e, que je sois déstabilis­é, je l’ai suivi, j’ai fait confiance. J’avais pas le choix, entre mes autres activités… »

C’est qu’il a eu des tas d’enfants, Yann, ces dernières années. Entre autres accoucheme­nts: les mises en scène de spectacles de Catherine Major, Patrice Michaud, Ines Talbi (laquelle chante sur Faut pas se fier aux apparences, avec Pierre Kwenders), la grande aventure du spectacle collectif en hommage à Piaf. «Tout ça, cumulé avec les expérience­s plus douloureus­es [mort de son père, maladie de sa mère], m’a changé. Ajoute le bébé qui fait pas ses nuits et un p’tit gars “full énergie”, ça fait une vie plus rock’n’roll que rock’n’roll…» Ça ancre un chanteur dans le présent. «C’est ma nouvelle devise, rigole-t-il. Do it, mon gars, et pense pas trop!» LE FANTASTIQU­E DES ASTRES Yann Perreau Bonsound

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR

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