Le Devoir

Les gars des attentats

- ODILE TREMBLAY

MADE IN FRANCE

Polar politique de Nicolas Boukhrief. Scénario de Nicolas Boukhrief et Éric Besnard. Avec Malik Zidi, Dimitri Storoge, François Civil, Nassim Si Ahmed, Ahmed Dramé, Frank Gastambide, Judith Davis, Nailia Harzoune. France, 2016, 89 minutes.

Made in France de Nicolas Boukhrief est un film important par son propos, comme avant lui La désintégra­tion de Philippe Faucon; deux films français collés aux parcours de jeunes djihadiste­s. Avec les vagues d’attentats qui se succèdent, le public ne saurait être trop renseigné sur les ressorts qui poussent des adolescent­s ou jeunes adultes de confession musulmane en Europe à s’embrigader avant de se transforme­r en bombes humaines. À des fins de prévention, entre autres.

La polémique ayant entouré ce film, rattrapé par les attentats en sol parisien et privé làbas de grands écrans, aussi ces images du réel qui font irruption dans cette fiction, ajoutent à sa portée, et à son pouvoir dissuasif, espérons-le.

Thriller, film d’action, Made in France, au scénario écrit avant l’hécatombe à Charlie Hebdo, met en scène un cancer en métastases. Ici sur une note absurde, puisque le chef de cette cellule de cinq, incarné avec force et lueur de folie par l’excellent Dimitri Storoge, s’invente des ordres venus d’en haut, quand il est seul à machiner les attentats suicides.

Collés à la toile tendue

Un journalist­e de culture musulmane (Malek Sidi) a infiltré cette minicellul­e en banlieue parisienne pour un éventuel reportage, mais se voit forcé par la police à rester sur place quand ça chauffe, à ses risques et périls.

Cette approche habile de l’infiltrati­on, malgré des essoufflem­ents de scénario, permet d’observer chacun se coller à la toile tendue. Quête d’une cause, oisiveté, chômage, naïveté, révolte contre une société qui les rejette, parfois vengeance d’un proche, oreille tendue aux pires discours islamistes, les mobiles se chevauchen­t sans appuyer.

Le film démarre sur le prêche d’un imam dans une mosquée clandestin­e, condamnant la décadence de l’Occident, sa pornograph­ie et Internet, antre de tous les vices.

Certains parcours des jeunes djihadiste­s demeurent trop flous, dont celui du meneur, visiblemen­t dérangé, mais pourquoi? Ce faisant, Made in France évite du moins les écueils de la psychologi­e à outrance. Sans prétendre régler le sort du monde ni percer tous les mystères du radicalism­e, les codes du polar permettent à l’action de rebondir à travers un montage nerveux, ce qui aida le film, lancé directemen­t en vidéo sur demande (VSD) en Europe, à atteindre une large audience, même si le reste de la distributi­on n’est guère à la hauteur du jeu hanté de Dimitri Storoge.

Sur une mise en scène classique, l’intrigue se greffe à l’aller-retour entre la vie de chacun — tantôt auprès d’une femme soumise, tantôt auprès d’une mère ouverte aux réalités européenne­s — et le piège vite refermé au sein d’un univers de manipulati­on. Les peurs, la mort de l’un, les doutes des autres, les dangers courus par le journalist­e s’entrecrois­ent. Des portes s’ouvrent sur tous les possibles avant de se refermer sur l’horreur, mais l’écho demeure avec son poids de questionne­ments soulevés, sur la manipulati­on facile des jeunes en perte de repères, de façon générale. C’est déjà énorme. Le film transcende sa fonction pour devenir une clé. Ça en prend plusieurs. Celle-là aussi.

 ?? AXIA FILMS ?? En France, le film avait été rattrapé par les attentats de Paris, en novembre dernier, et privé de diffusion en salle.
AXIA FILMS En France, le film avait été rattrapé par les attentats de Paris, en novembre dernier, et privé de diffusion en salle.

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