Miles après Miles
MILES AHEAD
Drame biographique de Don Cheadle. Avec Don Cheadle, Ewan McGregor, Michael Stuhlbarg, Emayatzy Corinealdi et Keith Stanfield. États-Unis, 2015, 100 minutes.
Pour son premier long-métrage à titre de réalisateur, Don Cheadle propose un audacieux biopic sur le grand Miles Davis, lequel repose sur un récit fictif pimenté de rares moments de vérité lorsque l’artiste plonge dans ses souvenirs. Après tout, Laurent Tirard l’a bien fait dans Molière… Et tout récemment, Robert Budreau s’est plu à imaginer un film qu’aurait pu tourner Chet Baker dans Born to Be Blue. En brodant des mensonges inspirés de faits réels, Cheadle a ainsi voulu s’éloigner des conventions du drame biographique et révéler la personnalité complexe de Davis. Sans doute faut-il vénérer le prodigieux jazzman, à qui l’on doit notamment Ascenseur pour l’échafaud et Bitches Brew, et s’armer de patience pour demeurer captif devant ce déroutant biopic.
Chaotique jeu du chat et de la souris, Miles Ahead met en scène le trompettiste (Cheadle, investi), sur le point de faire son retour au début des années 1980, et un journaliste du Rolling Stone (Ewan McGregor, à l’aise), manipulateur bientôt manipulé, qui partent à la recherche de bandes volées par un producteur de Columbia sans scrupule (Michael Stuhlbarg, coloré).
Au cours de ces péripéties et poursuites dans les rues de Manhattan, lesquelles finissent par évoquer Shaft et autres films de blaxploitation, le musicien, sous l’emprise de la drogue, revit en flash-back son mariage tumultueux avec une danseuse (Emayatzy Corinealdi, d’un bel aplomb).
Alors que l’on saute sans crier gare d’une époque à l’autre, comme de mauvais rêve en mauvais rêve, force est de reconnaître que le récit finit par devenir un tantinet stérile et répétitif. Et pourtant, on s’y accroche, déterminé à découvrir ou redécouvrir Miles Davis. Or, celui-ci demeure énigmatique, insaisissable, presque fantomatique malgré l’intensité de Cheadle.
Dans les scènes de la vie conjugale ou face à un jeune rival (Keith Stanfield, nonchalant), le masque finit légèrement par craquer, laissant deviner un tyran domestique doublé d’un artiste imbu de son talent. Omniprésente, en sourdine ou à l’avant-plan, la musique magistrale de Davis sert de fil rouge dans cette intrigue étourdissante, d’où l’on ressort avec la certitude que le musicien fut un génie qu’aucun metteur en scène ne parviendra réellement à démystifier.