Le Devoir

La plongée en eau trouble

- ODILE TREMBLAY

SLEEPING GIANT

1/2 Drame d’Andrew Cividino. Scénario : Andrew Cividino, Aaron Yeger, Blain Waatters. Avec Jackson Martin, Reece Moffett, Nick Serino, David Disher, Erika Broszky, Lorraine Philp, Rita Serino. Canada, 2016, 89 minutes.

L’excellent et ultrasensi­ble Sleeping Giant valait à son cinéaste ontarien, Andrew Cividino, le prix du meilleur premier film canadien au dernier Festival de Toronto, du meilleur film canadien à Vancouver. Il avait d’abord reçu les honneurs d’une sélection à la Semaine de la critique à Cannes. Sleeping Giant fut d’abord un court métrage du cinéaste (primé à l’édition précédente du TIFF), qui en offre cette fois une version longue et étoffée.

On évoque Stand by Me de Rob Reiner, classique américain de 1986 avec le River Phoenix de ses 16 ans; plus près de nous Les démons du Québécois Philippe Lesage, qui sut aussi conjuguer l’adolescenc­e troublée et la mort qui plane.

Ici, sur les bords du lac Supérieur, un jeune garçon impression­nable se lie d’amitié avec deux cousins quasi abandonnés à eux-mêmes qui flirtent avec la délinquanc­e pour se réinventer, se désennuyer, passer à l’âge adulte entre secousses de rébellion et émois sexuels.

Sleeping Giant aurait pu n’être qu’une chronique de plus sur un été adolescent à l’heure où tout bascule, mais le doigté, la délicatess­e, en contraste avec la force des images, le hausse trois crans plus haut que son genre. Avec davantage d’énergie insufflée à la mise en scène, on parlerait d’une grande oeuvre.

Cividino a su refuser le portrait idyllique de l’amitié entre ses jeunes garçons, dont les rapports sont ici plutôt malsains, tissés de vacheries et de rivalités. Il n’embellit pas le réel.

Son film privilégie le point de vue d’Adam (Jackson Martin, sensible, au regard liquide, et on salue ce talent naissant), dont les parents jouent les cool sans lui servir de guides. Il rôde et fait des mauvais coups avec ses deux nouveaux copains délurés; Riley (Reece Moffett) plutôt bien dans sa peau et Nate, fuyant, pervers, faussement dessalé (formidable Nick Serino). Se joint à leur clan parfois la jeune Taylor (Katelyn McKerrache­r) au centre de rivalités amoureuses. Une grand-mère cool (amusante Rita Serino), un pusher sans scrupule, la maîtresse troublante du père (Erika Brodzky) ajoutent des fragments en demi-teintes à cette mosaïque adulte toujours infantile et sans modèles à offrir.

Des gros plans puissants, des couleurs saturées au soleil, la nature en majesté, une musique vibrante, les images élégantes de James Klopko et au décor, comme la falaise allégoriqu­e d’où plongent les jeunes garçons — site de vertige et de danger annonçant le pire — se répondent en riche écho, apposant un cachet de profondeur et de qualité à ce film, où le cinéaste évite les pièges du cliché avec une agilité de funambule.

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FILMS SÉVILLE Le cinéaste a su refuser le portrait idyllique de l’amitié entre ces jeunes garçons, dont les rapports sont ici plutôt malsains, tissés de vacheries et de rivalités.

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