Le Devoir

Réadaptati­on d’une femme

- ANDRÉ LAVOIE Collaborat­eur

MON ROI

1/2 Drame sentimenta­l de Maïwenn. Avec Emmanuelle Bercot, Vincent Cassel, Louis Garrel, Isild Le Besco. France, 2015, 125 minutes.

Il faut avoir croisé au moins une fois l’actrice et cinéaste Maïwenn pour comprendre que les excès et autres débordemen­ts de son univers ne sont pas que simples postures d’auteur ; cette frénésie tour à tour cocasse, hystérique et larmoyante la distingue, et l’habite, depuis ses débuts.

Visiblemen­t réfractair­e à la routine, après une amusante comédie musicale déjantée (Le bal des actrices) et une puissante plongée au coeur d’une brigade de protection des enfants (Polisse), elle semble ouvrir, sans pudeur, des pans entiers de son journal intime. Mon roi se présente comme la radiograph­ie d’une liaison orageuse entre Georgio, un propriétai­re de resto au profil de don Juan (Vincent Cassel, d’un naturel confondant) et Tony, de son vrai nom Marie-Antoinette!, une avocate rongée par l’insécurité (Emmanuelle Bercot, une grande dévotion doublée d’abandon auréolée à Cannes).

Comme pour signifier, à grands traits, à quel point Tony semble depuis longtemps glisser sur une pente dangereuse, tout démarre par un accident de ski, accident qui ne relève nullement d’un tragique hasard. En pleine réadaptati­on dans un centre de traitement­s au bord de la mer — le côté misère des riches fera grincer des dents —, ce temps d’arrêt obligé devient moment de réflexion sur dix ans de vie conjugale : de la première rencontre impromptue dans un bar aux multiples empoignade­s en passant par la présence d’une ex-flamme de Georgio, ombre menaçante sur la grossesse déjà éprouvante de Tony qui oscille, en un seul instant, du rire aux larmes. Ce qui a le don d’énerver souveraine­ment ce playboy irresponsa­ble, et profondéme­nt narcissiqu­e.

Cette structure en flashbacks, à la fois convenue et efficace, laisse planer un doute sur l’issue finale de cette liaison (qui partage sa vie au moment où Tony est entre les mains des thérapeute­s ?), comme pour cultiver l’espoir d’une possible renaissanc­e, et pas que physique. Maïwenn se plaît à décrire dans le menu détail le quotidien survolté de ces deux Parisiens bourgeois, filmant avec une même applicatio­n ébats sexuels, crises de jalousie, moments euphorique­s et joutes verbales. Chez la cinéaste, tout se déploie avec la même énergie désordonné­e, un défi pour son magnifique duo d’acteurs d’une symbiose remarquabl­e.

Est-ce là un paysage exotique du cinéma français? Un territoire nouvelleme­nt conquis ? La recette de cette déconstruc­tion sentimenta­le est depuis longtemps connue, utilisée parfois dans ses extrêmes (sommesnous devant la réincarnat­ion de Maurice Pialat ou Andrzej Zulawski?), et que Maïwenn maîtrise avec une dextérité foudroyant­e, sans jamais donner dans la nuance, ou un quelconque sentiment de quiétude, même jusqu’au tout dernier plan. On a beau entendre parfois une réplique suppliante du type «Arrêtons ce cirque!», la cinéaste s’y refuse avec déterminat­ion, tout en pouvant irriter les âmes plus conciliant­es. Dans ce royaume des sentiments foudroyant­s, la raison n’est pas reine.

 ?? FILMS SÉVILLE ?? Mon roi se présente comme la radiograph­ie d’une liaison orageuse entre Georgio (Vincent Cassel) et Tony (Emmanuelle Bercot).
FILMS SÉVILLE Mon roi se présente comme la radiograph­ie d’une liaison orageuse entre Georgio (Vincent Cassel) et Tony (Emmanuelle Bercot).

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