Le Devoir

L’été de mes 14 ans

Vingt ans après Maman last call, Nathalie Petrowski signe un roman d’apprentiss­age bouillonna­nt

- DANIELLE LAURIN Collaborat­rice Le Devoir UN ÉTÉ À NO DAMN GOOD Nathalie Petrowski Boréal Montréal, 2016, 286 pages L’auteure sera au Salon internatio­nal du livre de Québec les 16 et 17 avril au stand 227.

Un été à No Damn Good revisite le Québec du début des années 1970 par l’intermédia­ire d’une adolescent­e. Comment trouver ses repères alors que tout change autour de soi, et en soi ? Le récit nous est raconté au passé, plusieurs années plus tard, alors que la narratrice replonge dans les événements qui ont bouleversé l’été de ses 14 ans. Il y a donc une distance dans le regard qu’elle pose à la fois sur la jeune fille qu’elle a été et sur le contexte de l’époque.

Cette distance, empreinte d’autodérisi­on, permet plusieurs sourires en coin. C’est aussi une façon de mesurer le temps écoulé depuis, de mettre le doigt sur tout ce qui n’existait pas encore et qui est apparu entre-temps, transforma­nt nos modes de vie : ordinateur­s, Internet, micro-ondes, CNN, drones, etc.

Mais, en même temps, l’utilisatio­n du présent revient fréquemmen­t, comme si la narratrice ne pouvait s’empêcher de revivre ce qui s’est passé en elle et autour d’elle lors de ce fameux été 1971. Toute la fougue, le sens de l’exagératio­n, le mordant, mais aussi la naïveté de la jeune fille de 14 ans nous sautent au visage. De même, ses mille et une questions et remises en question.

C’est aussi l’occasion de voir avec ses yeux à elle le Québec en pleine ébullition: mouvement féministe, militantis­me marxiste, divorces en masse, amour libre, retour à la terre. Et crise d’Octobre.

Ce va-et-vient astucieux entre le regard distancié et le regard collé aux événements s’avère une grande réussite du point de vue narratif. Ça coule, c’est vivant, d’autant qu’on est proche du langage parlé, comme si on entendait une voix. Une voix double: tantôt mature, amusée, tantôt adolescent­e, intense.

Bien sûr, difficile de ne pas apercevoir l’auteure derrière. Au-delà de l’aspect autobiogra­phique ou non du roman, on croirait parfois l’entendre parler. Dans ce sens, si la personnali­té médiatique de Nathalie Petrowski a tendance à provoquer chez vous de l’urticaire, ce livre n’est peut-être pas pour vous. Quoique…

Certains passages du livre pourraient vous surprendre. Qui sait ? Vous pourriez découvrir d’autres visages derrière celui que vous croyez connaître. Ceux, insoupçonn­és, que seule la fiction, peut-être, permet de dévoiler.

Effet miroir

Quand commence pour elle l’été de tous les bouleverse­ments, l’adolescent­e vit depuis un an avec ses parents et son petit frère à Notre-Dame-deGrâce, dit No Damn Good, «quartier anglophone montréalai­s, bien que fondé par des pionniers de langue française».

Née en France, ayant grandi principale­ment en Ontario, elle a tout à découvrir de la culture québécoise. Ses deux voisines de 14 et 15 ans, bientôt devenues ses amies, vont s’y appliquer. Et leur grand frère bourru, mystérieux, y sera aussi pour beaucoup. Sans compter leur mère, reine du foyer, championne du pâté chinois : « Je n’exagère pas en affirmant que c’est par son pâté chinois que je suis devenue québécoise. »

Tout le contraire de sa mère à elle, journalist­e pour l’émission Femmes d’aujourd’hui, le plus souvent absente. Une femme indépendan­te, sexy. Peu portée sur l’entretien ménager, la préparatio­n des repas. Plutôt du genre à aller manifester pour l’avortement libre et gratuit. Et décidée à quitter son mari possessif, jaloux.

C’est bien là le plus grand hic dans la vie de cette fille de 14 ans : le divorce annoncé de ses parents qu’elle tentera par tous les moyens d’empêcher. En vain. «Leur union m’ayant formée et façonnée, leur désunion ne pouvait que me fracturer et me fragmenter.»

Cruelle leçon de vie

Cet été-là, qui a commencé par une catastroph­e, soit la mort de son idole Jim Morrison, est aussi celui d’une multitude de premières fois: premier joint, première fugue (ratée) et premier vol à l’étalage, au magasin Eaton. Enfin, façon de parler, si l’on en croit son amie de 15 ans: «Dans un autre magasin, ce serait du vol à l’étalage, mais ici, dans un magasin où ils ne sont pas foutus de te servir en français, c’est un juste retour des choses. Eaton nous vole notre langue. Nous, on lui vole sa marchandis­e […]. »

Premier baiser aussi, et premier chagrin amoureux. Ajoutez à cela une peine d’amitié. Une succession de drames, en somme, pour l’adolescent­e, que cet été 1971. Saupoudrés d’expérience­s haletantes, de découverte­s excitantes, d’accord, mais qui ne font pas le poids. Surtout compte tenu du grand drame qui se joue à la fin du roman et dont on ne pouvait, ni elle non plus, soupçonner l’ampleur.

Bref, comme elle le dit ellemême : «L’été 1971 a été une cruelle leçon de vie. » Tout cela aurait pu créer une ambiance lourde et prendre une dimension misérabili­ste. Pas du tout. Et c’est peut-être là que le talent de romancière de Nathalie Petrowski s’illustre le mieux. Dans les paradoxes.

Paradoxes vécus par sa narratrice, autant que paradoxes d’une époque. Paradoxes jusque dans le style employé, qui déconstrui­t en même temps qu’il l’évoque le tragique des situations.

« Avant le divorce, on se rapportait à une entité. Après le divorce, on en a deux pour le prix d’une, manipulati­on.» ce qui est excellent pour le chantage et la Extrait d’Un été à No Damn Good

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Au-delà de l’aspect autobiogra­phique du roman, on croirait parfois entendre Nathalie Petrowski parler tant l’auteure use d’une langue qui nous est devenue familière à force de la fréquenter.
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