Le Devoir

Le gouverneme­nt Marois au jour le jour

Conseiller de l’ex-première ministre, Dominique Lebel ouvre ses carnets

- louisco@sympatico.ca DANS L’INTIMITÉ DU POUVOIR JOURNAL POLITIQUE, 2012-2014 Dominique Lebel Boréal Montréal, 2016, 440 pages L’auteur sera au stand 227 du Salon internatio­nal du livre de Québec le 16 avril. LOUIS CORNELLIER

Dans une société démocratiq­ue, savoir comment se prennent les décisions qui façonneron­t notre quotidien devrait aller de soi. Or, cet univers, celui du fonctionne­ment concret du pouvoir exécutif, reste un mystère pour la majorité des citoyens.

En publiant Dans l’intimité du pouvoir, le journal politique qu’il a tenu pendant ses 20 mois de service auprès de Pauline Marois, dont il demeure un admirateur, Dominique Lebel lève un peu le voile sur ce monde presque secret. Directeur de cabinet adjoint de la première ministre de sa victoire du 4 septembre 2012 jusqu’à sa défaite du 7 avril 2014, Lebel n’a jamais cessé de colliger ses impression­s dans de petits carnets.

Ce sont ces notes qui constituen­t la substance de son livre, «un récit personnel, intime, unique de la réalité du pouvoir ». Les passionnés de politique y trouveront pleinement leur compte. En France, les livres du genre sont légion. Ici, ils sont rarissimes, ce qui rend celui-ci encore plus précieux, malgré son style plutôt terne.

Militant péquiste depuis sa jeunesse, Lebel, aujourd’hui dans la jeune quarantain­e, a le profil du conseiller politique contempora­in. Diplômé en histoire et féru de la joute politique, il a oeuvré auprès de Jean Doré, de Pauline Marois et de Gilles Baril avant de faire carrière chez Groupe Cossette communicat­ion et de revenir dans l’entourage de Marois en 2012.

Lebel allie l’ambition du jeune entreprene­ur à la réflexion du stratège politique. Même dans la fébrilité de son activité politique, il ressent toujours le besoin de fréquenter des oeuvres de qualité (il lit Emmanuel Carrère, Jean d’Ormesson, Salman Rushdie, Stendhal, Claude Morin et Jean-François Lisée, entre autres) et de méditer, en joggant ou devant un inspirant paysage rural ou urbain, sur son action. «Il y a maintenant plus d’un an que j’exerce cet étrange métier de conseiller auprès de la première ministre, et je ne réussis pas encore à considérer cela comme un métier normal», note-t-il en février 2014, alors qu’il retourne à Montréal en avion avec Mme Marois. Portraits de ministres

Les lecteurs qui s’attendent à trouver des potins dans cet ouvrage seront déçus. Lebel n’écrit pas pour se défouler, mais par souci de consigner une expérience extraordin­aire. Le Parti québécois (PQ), c’est sa famille, son clan. Aussi, il parle donc des têtes d’affiche du gouverneme­nt Marois avec respect, même quand il se permet de les critiquer un peu.

Jean-François Lisée, écrit-il, est «une tête bien faite» et « une intelligen­ce vive», mais «il a un esprit frondeur qui l’amène parfois à faire des bêtises ». Martine Ouellet est déterminée jusqu’à l’entêtement, ce qui fait qu’«il y a quelque chose d’à la fois exaspérant et attachant chez elle». L’idéalisme de Réjean Hébert est stimulant, mais néglige «les contrainte­s du monde politique».

Bernard Drainville est fonceur, mais ne brille pas par sa retenue. Véronique Hivon «semble manquer parfois de réflexes politiques», mais «fait de la politique comme on fait de la courtepoin­te » et sait convaincre avec patience et délicatess­e. Il n’y a, au fond, qu’à l’égard du candidat aux « accents révolution­naires» Pierre Céré que Lebel est sévère et, à mon avis, injuste. Sans sa gauche et livré aux seuls faiseurs d’images, dont fait partie Lebel, le PQ serait bien fade.

Les élus, dit-on parfois pour contrebala­ncer le mépris que certains leur réservent, travaillen­t fort. Le journal de Lebel confirme avec force que c’est certaineme­nt le cas de ceux qui accèdent au Conseil des ministres et de leur équipe. Lire ce livre enlèvera à tout flâneur le goût d’être premier ministre du Québec ou d’en conseiller un. La seule descriptio­n des journées de travail de Pauline Marois et des membres de son cabinet est essoufflan­te.

Ces gens-là n’ont littéralem­ent pas une minute à eux. Les députés et ministres multiplien­t les demandes, les gros entreprene­urs, auxquels le gouverneme­nt prête de toute évidence une oreille plus qu’attentive, se tiennent en permanence dans l’antichambr­e du pouvoir, les déplacemen­ts sont incessants, les journées finissent tard et recommence­nt très tôt; la cadence est infernale et les résultats bien incertains. Qu’est devenue, par exemple, la politique de souveraine­té alimentair­e présentée par le gouverneme­nt Marois en mai 2013 ?

Le dilemme du PQ

Le journal de Lebel illustre aussi le phénomène de la concentrat­ion du pouvoir au cabinet du premier ministre. Même si Pauline Marois a pratiqué une direction plus collégiale que celle d’autres premiers ministres (Stephen Harper, par exemple), bien des élus de son parti — Lisée, notamment — n’appréciaie­nt pas «l’attitude trop directive» de son cabinet dans certains dossiers. « La rapidité des décisions à prendre fait qu’on finit par ne consulter que peu de gens», convient Lebel à regret.

La dernière partie du livre couvre la campagne électorale de 2014, déclenchée le 5 mars. En janvier et en février, le PQ, selon les sondages, avait le vent dans les voiles et se dirigeait vers un gouverneme­nt majoritair­e. La charte des valeurs, notamment, le portait. Que s’est-il passé pour que ce bel élan se brise? La chute coïncide avec l’arrivée de Pierre Karl Péladeau dans la campagne, qui a permis au Parti libéral d’imposer le thème référendai­re.

Quelles leçons le PQ actuel doit-il en tirer? Lebel, retourné dans le secteur privé depuis, ne se prononce pas, sinon pour souligner, de façon nébuleuse, que «le Parti québécois n’a jamais pris la mesure des conséquenc­es de la défaite référendai­re de 1995» et n’a pas brillé par son art du compromis lors de son dernier passage au pouvoir.

Trop souveraini­ste, le PQ fait peur et perd. Pas assez souveraini­ste, «ce parti n’a plus sa raison d’être », écrit Lebel, surtout, ajouterai-je, s’il devient une deuxième CAQ en délaissant son esprit social-démocrate. C’est la quadrature du cercle. Pendant ce temps, le Parti libéral, malgré un bilan calamiteux, reste au pouvoir.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR La seule descriptio­n des journées de travail de Pauline Marois et des membres de son cabinet est essoufflan­te.
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