Le Devoir

L’arsenal judiciaire conservate­ur s’effrite

La Cour suprême invalide deux autres réformes de Stephen Harper

- HÉLÈNE BUZZETTI Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa Avec Marie Vastel

Un autre pan de l’héritage juridique de Stephen Harper s’est effondré vendredi à la Cour suprême du Canada alors que les juges ont invalidé une seconde peine minimale qu’il avait instaurée. Le revers donne au gouverneme­nt de Justin Trudeau un argumentai­re puissant pour réviser dans son ensemble — et possibleme­nt défaire — la réforme conservatr­ice en matière de justice pénale.

Deux causes se trouvaient devant les juges. La première concerne Joseph Ryan Lloyd, un toxicomane et trafiquant de drogue de Vancouver. Accro notamment à la cocaïne et à l’héroïne, M. Lloyd vendait des substances pour «satisfaire son besoin de consommati­on» et non pour s’enrichir. Il a été reconnu coupable une première fois de possession de méthamphét­amine pour en faire le trafic. Un mois après sa remise en liberté, il a été de nouveau arrêté en possession de drogues dures. En vertu d’une loi instaurée par les conservate­urs de Stephen Harper, cette infraction passée le condamnait à une peine minimale d’emprisonne­ment d’un an.

Les juges de la majorité font valoir qu’on peut imaginer une foule de cas de figure où la peine minimale serait démesurée. Ces scénarios « raisonnabl­ement prévisible­s » les conduisent à invalider la loi (même si, dans le cas de M. Lloyd, la peine d’un an est maintenue).

La majorité évoque le cas d’un toxicomane qui aurait partagé avec sa conjointe une petite quantité de cocaïne et qui écoperait d’un an de prison «parce qu’il a déjà été reconnu coupable de trafic, une seule fois, neuf ans auparavant, après avoir partagé de la marijuana lors d’une réunion sociale». «La plupart des Canadiens seraient consternés» par une telle peine, est-il écrit.

Ce concept de scénarios « raisonnabl­ement prévisible­s » a été élaboré dans un précédent jugement rendu il y a exactement un an. La Cour suprême avait alors invalidé une peine minimale conservatr­ice s’appliquant aux armes à feu en évoquant le cas hypothétiq­ue d’une veuve qui écoperait de trois ans de prison pour avoir omis de renouveler l’enregistre­ment des armes de son époux.

À l’époque, les juges y étaient allés d’une charge à fond de train contre les peines minimales en général. Plusieurs juristes avaient prédit que ce jugement, le jugement R. c. Nur, ferait école. De fait, dans leur arrêt de vendredi, les juges le citent abondammen­t, ce qui laisse présager d’autres invalidati­ons.

Chez les conservate­urs, on déplore que ce revers plombe leur héritage. «C’est une déception », a dit le député Alain Rayes, qui estime que M. Lloyd «n’est pas le genre de personne qu’on souhaite avoir dans les rues». «Les libéraux revoient tout ce que les conservate­urs ont fait […]. Ils ont un objectif clair, c’est d’anéantir dix années des conservate­urs. » C’est une erreur, selon M. Rayes, car les gens « sont au même diapason » que les conservate­urs.

Le bloquiste Luc Thériault abonde dans le même sens, mais s’en réjouit. «Le gouverneme­nt est en train de défaire ce que le populisme conservate­ur essayait de faire, peu importe si ça allait à l’encontre de la Charte.»

Ménage en vue

Ce n’est que la troisième fois de son histoire que la Cour suprême invalide une peine minimale, mais deux de ces trois cas concernent des lois adoptées sous le régime de Stephen Harper. Le gouverneme­nt conservate­ur s’était souvent fait reprocher de présenter des lois inconstitu­tionnelles dans le seul but de plaire à un électorat lui étant favorable.

C’est pour cette raison que Justin Trudeau a promis de faire le ménage dans le Code criminel. La lettre de mandat de sa ministre de la Justice lui demande de « réviser les changement­s apportés depuis dix ans à notre système de justice pénale ainsi que les réformes de la déterminat­ion des peines apportées».

Vendredi, M. Trudeau a indiqué que cet autre jugement le confortait dans sa volonté d’aller de l’avant. «Il y a des cas où les peines minimales sont pertinente­s», a-t-il dit, évoquant celles instaurées par des gouverneme­nts libéraux. «Mais il y a une impression générale, renforcée par cette décision de la Cour suprême, que les peines minimales instaurées par le précédent gouverneme­nt dans un certain nombre de cas vont trop loin. C’est là-dessus que nous réfléchiss­ons.» Il a indiqué qu’il aurait plus de choses à dire «dans les jours et les semaines à venir».

Du côté du NPD, on s’impatiente, estimant que cette réforme tarde. «On parle de quelques semaines depuis déjà six mois», déplore le député Guy Caron.

Une deuxième invalidati­on

La seconde cause tranchée vendredi par la Cour suprême concernait Hamidreza Safarzadeh-Markhali, un homme qui n’avait pas eu le droit d’être libéré en attendant son procès car il avait déjà un casier judiciaire. Lors de la déterminat­ion de la peine, le juge prend en compte le temps passé derrière les barreaux avant un procès et le majore généraleme­nt de 50%. Mais en vertu d’une loi adoptée par les conservate­urs en 2009, cette majoration n’est pas autorisée si la remise en liberté a été refusée pour cause d’antécédent­s judiciaire­s. La Cour suprême a aussi invalidé cette loi parce qu’elle ne prend pas en compte les cas particulie­rs. La cause était théorique car M. Safarzadeh-Markhali a déjà été renvoyé en Iran.

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